Tunisie : Crise de l’emploi… quelles voies de sortie?

demandeurs-emploi-bnec.jpg«Il ne s’agit plus actuellement de chercher des solutions conjoncturelles à la problématique du chômage mais des solutions fondamentales qui déterminent les réelles maux de l’emploi dans notre pays et proposent des voies de sortie à long terme». C’est en ces termes qu’un expert tunisien dans le marché de l’emploi nous a confié son inquiétude quant à la situation actuelle qui sévit en Tunisie. Selon lui, cette situation a montré qu’il faut repenser tout le système d’éducation et d’enseignement supérieur et impose à ne pas penser à des solutions d’urgence qui ne résoudraient que temporairement la problématique du chômage, essentiellement des diplômés du supérieur. Chaque année, on compte 88.000 demandes d’emploi supplémentaires, dont 65% émanent de l’enseignement supérieur.

On a beau vanter les mérites des mécanismes mis en place par le ministère de l’Emploi et de la Formation professionnelle pour inciter les entreprises privées à recruter les jeunes diplômés du supérieur, mais les concernés en ont vraiment confiance? Lorsqu’un jeune diplômé considère que ces mécanismes favorisent l’exploitation et profitent plutôt aux entreprises et non pas aux jeunes, c’est qu’il y a problème. Un jeune muni de son diplômé s’attend à que sa première expérience soit réussie et qu’elle soit une ouverture pour un avenir meilleur. Sur le terrain, la réalité est autre. Les abus ont existé en tout temps et en tout lieu. Certaines entreprises utilisent ces mécanismes pour profiter des avantages qu’elles offrent sans prendre en compte l’intérêt du jeune diplômé.

En guise d’exemple, une jeune maîtrisard en comptabilité nous a confié que sa première expérience était dans un cabinet d’expertise-comptable où elle a été rémunérée seulement la contribution de l’Etat dans les contrats SIVP (Stage d’initiation à la Vie Professionnelle), soit 107 dinars à l’époque. Elle a fini par quitter parce qu’elle ne pouvait plus supporter les charges de transport et autres qui dépassaient largement son «salaire». On nous dira que ce sont des cas isolés mais il semble qu’ils se répètent. Ce genre de pratique met à mal l’image du secteur et fait que le jeune diplômé n’a plus confiance en le secteur privé et à considérer que la fonction publique est le seul garant de stabilité et d’avenir.

Une optique qui se confirme de jour en jour, selon notre interlocuteur, et qui est la résultante de toute une culture valorisant le secteur public, bien que le secteur privé offre plusieurs opportunités. Et personne ne peut nier aujourd’hui les abus qui entourent le déroulement des concours d’entrée à la fonction publique.

Pour ne citer que le CAPES (Concours d’Aptitude au Professorat de l’Enseignement Supérieur) qui se déroule tout les ans et auquel participent des milliers de jeunes diplômés. Ce concours est devenu la seule lueur d’espoir pour plusieurs diplômés du supérieur dans des spécialités qu’on considère à faible employabilité. «Des bombes à retardement», lance notre interlocuteur, puisqu’ils n’ont d’autres issues que l’enseignement. Il y a aussi des spécialités dont l’avenir est encore incertain, pour ne pas dire sans issue, puisque le marché de l’emploi n’est pas ou n’est plus demandeur. Et c’est là qu’on ressent les limites du système éducatif à s’adapter aux réalités du marché et à limiter l’accès à ce genre de spécialités.

Mais est-ce qu’on peut considérer la bourse de chômage comme solution de secours pour les jeunes. «Il n’en est rien. Cette bourse aggraverait la situation et en tout cas, ce n’est qu’une solution temporaire», souligne l’expert.

On a beau également encourager l’installation de centres d’appels dans notre pays, comme garants de l’emploi des diplômés, mais est-ce vraiment la solution? Les centres d’appels ont l’avantage de garantir un salaire respectable à nos diplômés, rien de plus. L’avenir reste toujours incertain. «Pour moi, c’était toujours un emploi provisoire. D’ailleurs, on ne nous a jamais fait sentir qu’on était là pour rester. A part le salaire, rien ne nous encourageait à rester», témoigne une jeune diplômée.

On encourage également la création d’entreprises, mais tous nos jeunes deviendraient-ils entrepreneurs? La formation professionnelle est une solution qui a montré ses limites, mais tous nos jeunes en seraient tentés, surtout dans un pays qui a longtemps encouragé la qualification scientifique dans l’enseignement supérieur.

On considérera aussi que la coopération internationale dans le domaine de l’emploi pourrait atténuer la pression sur le marché local de l’emploi. Notre interlocuteur indique que les conventions conclues par exemple avec la France et l’Italie ne sont pas automatiquement appliquées. «Ces pays imposent des garde-fous qui entravent une application automatique des conventions. Ce qui fait que le nombre des diplômés qui quittent le pays pour aller travailler à l’étranger reste encore très limité. Ce nombre se limite pour la France, par exemple, à 1.000 par an alors que la convention en prévoit 9.000», précise-t-il. Même chose pour l’Italie. Pour le Canada, qui semblerait plus ouvert à accueillir les ressortissants tunisiens, la procédure d’immigration pourrait prendre jusqu’à deux ans ou plus. Dire qu’il faudrait avoir vraiment le souffle pour le faire.

Loin de tomber dans un scepticisme béat, et hors de toute solution de substitution, il s’agit de préparer le marché local à accueillir ces jeunes. Mais le plus important c’est encourager l’écoute active et le dialogue constructif avec les jeunes chômeurs et de favoriser l’égalité des chances, l’équité et aussi le respect. Il s’agit également de repenser le rôle du secteur privé et sa capacité à satisfaire les demandes. Pour se sentir en sécurité, tout demandeur d’emploi exigerait un minimum de stabilité financière et sociale. Ce qui revient à dire que l’Etat doit miser encore plus sur la protection des droits des jeunes diplômés et sur l’incitation du secteur privé à améliorer ses assises et à fixer ses objectifs en termes d’emploi.

Ceci exige aussi que l’Etat montre une plus grande flexibilité avec les entreprises, en termes de taux d’imposition, par exemple, considéré comme le plus élevé dans le monde arabe. L’installation dans les régions intérieures imposerait une adéquation des infrastructures (routière, logistique, technologique, etc.) pour inciter les entreprises à investir volontairement dans ces régions. Le secteur privé n’a pas seulement une responsabilité économique mais aussi une responsabilité sociale. Pour un pays comme le nôtre qui voudrait côtoyer les pays développés, l’Etat ne peut à lui seul garantir la stabilité sociale, intrinsèquement liée à la stabilité économique. Et les troubles sociaux qui traversent notre pays, actuellement, en disent long.

L’heure est à l’urgence, donc. D’ailleurs, on nous informe que le ministère de l’Emploi et de la Formation professionnelle est en train de préparer un plan d’action proposant des solutions pour la problématique du chômage, et dont on aura l’écho prochainement. Espérons que ce plan proposera une nouvelle approche du marché de l’emploi et des voies de sortie pertinentes pour sortir de l’impasse du chômage des diplômés. Pour autant, il est sûr que les solutions ne s’improvisent mais requièrent un maximum de temps pour être concrétisées.