Mahdia II : Un particularisme à l’épreuve du temps

Au Xème siècle, suite aux luttes intestines et
particulièrement féroces entre Sunnites (représentatifs du pouvoir central
abbasside à Bagdad) et Chiites (héritiers du martyrologue Husseinite à Karbala),
tout au long de l’espace arabo-musulman, Obeyd Allah el Mehdi, homme d’Etat
charismatique et illustre descendant du clan Hachémite, vénéré par toute la
communauté des croyants, après avoir cimenté, autour de sa personne, les
principales tribus de la région, fonde la ville de Mahdia, une véritable
capitale maritime avec de solides fortifications terrestres dont la force des
remparts, affirment les chroniqueurs, ont permis aux habitants de résister
victorieusement aux assauts répétés des Espagnols en 1554, permettant ainsi aux
forces ottomanes d’arriver à temps pour délivrer la ville et redistribuer, de
nouveau, la carte des allégeances politiques, économiques et sociales qui garde
encore une certaine acuité, en raison de l’aura palpable, dans la conscience
collective mahdoise, du nom légendaire de certains clans, apparentés à la classe
possédante, dont l’origine remonte aux redoutables janissaires turcs.

Les propriétaires terriens

Les familles Hamza, Chlaifa et Dhouib accaparent, depuis des lustres,
l’activité agricole et la commercialisation de l’huile d’olives qui est à
l’origine de la prospérité de toute la région. Malgré le morcellement de plus en
plus poussé de la propriété terrienne, la saison de la cueillette demeure
l’échéance capitale pour tous les habitants dont le souci majeur est de
s’assurer, tout d’abord, des provisions pour l’année puis de s’adonner aux
transactions relatives à l’huile d’olives.

L’achat des draps, des échelles, des tamis et des sacs sont les premiers
signes du coup d’envoi du début des préparatifs mais la disponibilité des
ouvriers agricoles demeure une obsession constante chez les latifundiaires
mahdois. «Une année d’abondance est à la fois un motif d’optimisme et
d’inquiétude à cause de la rareté de la main-d’œuvre et surtout de
l’encombrement inévitable dans les huileries», nous dit un membre de la famille
Hamza, qui lance un appel à ses compatriotes pour gagner la bataille de la
qualité en raison, dit-il, d’un marché international de plus en plus
concurrentiel dans la région méditerranéenne.

De son côté, M. Nasser Dhouib, l’un des responsables de l’Union régionale des
agriculteurs, rend un vibrant hommage aux femmes rurales dont le dévouement au
travail et la discipline dans l’exécution forcent le respect et encouragent les
propriétaires terriens à les enrôler dans leurs champs d’une manière permanente.
Il est tout à fait clair, ajoute notre interlocuteur, que l’avènement de la
saison de la cueillette des olives dynamise non seulement la volonté des
agriculteurs mais aussi celle des commerçants de la ville qui enregistrent, lors
de cette échéance, une affluence record grâce à un pouvoir d’achat dopé à
l’extrême pendant les mois de la récolte et de l’extraction.

L’intelligentsia mahdoise

Feu Tahar Sfar était un intellectuel engagé, dès son jeune âge, dans la lutte
pour la liberté et l’indépendance. Il s’agit là d’une famille d’origine turque,
versée, depuis des lustres, dans les études et le savoir. Ses membres ne se sont
jamais intéressés aux activités mercantilistes, préférant, dès le départ, les
professions libérales et le service de l’Etat.

C’est ainsi qu’Ahmed Sfar, frère du leader nationaliste, était un inspecteur
de l’enseignement primaire lors du protectorat, se consacrant, après le départ
de l’ancienne puissance coloniale, à l’écriture des livres pédagogiques qui ont
marqué des générations entières sur le plan académique. Bien entendu, de nos
jours, avec la démocratisation de l’enseignement, plusieurs enfants de la région
sont d’excellents commis dans la fonction publique. Cela, l’intelligentsia
mahdoise, installée dans la capitale pour des raisons professionnelles ou
affectives, s’est illustrée surtout dans le domaine des finances et des impôts
donnant ainsi la preuve de son implication organique dans les nerfs de
l’économie nationale.

Des traditions structurantes

Pendant les événements heureux (mariages, cérémonies de circoncision…) ou
malheureux (deuil, accident…), les familles, dans un élan de solidarité
spontané, s’entraident et s’organisent pour entourer le concerné et lui apporter
l’aide matérielle nécessaire.

A l’occasion des fêtes de mariage, et pour supporter les coûts, ô combien
exorbitants lors de ces cérémonies, les invités sont appelés à verser de
l’argent à la mère de la mariée tout au long de la soirée dansante. En effet,
chaque fois qu’une jeune fille se met à danser -il s’agit d’une gesticulation
corporelle très pudique faisant partie du folklore local- ses parents offrent
une somme en public à la famille de l’heureuse élue qui se souviendra, bien
entendu, de cet acte «solidaire» et renverra l’ascenseur, lors d’une occasion
similaire.

Les mahdoises, pendant les heureux événements, exhibent des habits
traditionnels indiquant leur situation sociale (jeune fille, fiancée ou mariée).
Les hommes sont vraiment saignés à blanc en épousant une fille de la région car
les exigences de la gent féminine sont légendaires en raison du statut de l’or
dans une ville où des trésors demeurent enfouis depuis le règne du Califat
fatimide, prétend la rumeur populaire.