Ali Nakai, Fédération Nationale du Textile : jouer la carte de la proximité et de la réactivité

Avec l’impact attendu de la crise financière sur le secteur du
textile habillement en Tunisie, quelle attitude doivent adopter nos entreprises
textiles pour y faire face ? Les défis? Le secteur, en a beaucoup vu tout au
long de cette dernière décennie : le démantèlement des accords multifibres, la
zone de libre échange avec l’Union Européenne, la concurrence chinoise, etc.

Ali Nakai, secrétaire général de la FENATEX nous éclaire sur les perspectives
de développement du secteur dans le contexte actuel.

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: En tant que représentant de la FENATEX, quels sont, selon vous, les
principaux défis auxquels le secteur fait face actuellement ?

Ali Nakai : De par sa dimension et son poids social et économique, le
secteur textile habillement a été toujours confronté, à travers sa longue
histoire, à des défis de différentes natures. Sa position de premier
secteur employeur, et jusqu’à une période très récente de premier secteur
exportateur lui a souvent conféré des missions de premier plan en matière
d’investissement, d’exportation et de création d’emplois. Grâce au
dynamisme de ses acteurs et au soutien des pouvoirs publics, il s’est
plutôt honorablement comporté en dépit des contraintes d’un environnement
international constamment marqué par de profondes mutations et de
changements perpétuels liés à la nature même de cette activité. Ainsi, et
après avoir franchi les étapes de la libéralisation des années 90 et du
démantèlement définitif des AMF en 2004, voilà que se profile un nouveau
virage imposé par la crise financière internationale. Evidemment et quelque
soit les implications attendues, le secteur est appelé à relever le défi de
son positionnement sur le marché international en confortant ses parts de
marchés et en assurant sa vocation de secteur fortement employeur par le
maintien des emplois et pourquoi pas la création de nouveaux. Ceci passe
nécessairement par une adaptation de l’environnement législatif, financier,
social, administratif el logistique de l’entreprise du secteur textile et
habillement.

Certains professionnels du secteur estiment qu’un manque de stratégie
claire fait que le secteur est confronté aujourd’hui à plusieurs difficultés
qui risquent de malmener sa croissance, qu’en pensez-vous et quelle est le
rôle de la FENATEX dans l’élaboration de cette stratégie ?

Dans l’absolu, les meilleures stratégies au monde ne peuvent pas échapper
à des difficultés et des problèmes de parcours. Cela dit, une stratégie se
construit sur des objectifs, des moyens et des acteurs. Pour revenir au
secteur textile habillement, disons qu’il y a un consensus sur l’objectif à
savoir consolider notre position sur les marchés européens. Il y a aussi une
mobilisation manifeste des entreprises qui sont les acteurs majeurs dans ce
processus pour monter en gamme, investir dans la valeur ajoutée et
s’orienter progressivement vers la cotraitance et le produit fini. C’est
peut être au niveau de l’ingrédient moyens qu’il y a débat et c’est ce qui
fait que cette stratégie a du mal à percer et à rassembler l’ensemble des
acteurs. D’aucuns disent d’ailleurs que nous avons un secteur à deux
vitesses.

Le rôle de la FENATEX est justement de mobiliser toute la filière autour
de cette stratégie et de mettre en place un plan d’action afin de parer aux
difficultés et améliorer les conditions de travail et d’exercice des
entreprises. A ce titre et depuis quelque temps, la FENATEX a mis en place
des commissions permanentes de réflexion animées par des professionnels
leaders dans leur branche d’activité pour se pencher sur les aspects
particuliers de l’environnement du secteur textile Habillement. Des thèmes
tels que l’image, la promotion et le développement du secteur, la
compétitivité, l’environnement social et les relations avec l’administration
sont au menu de cette réflexion qui a fait l’objet d’une Journée que la
FENATEX a organisée au mois de janvier.

Avec l’orientation de l’Etat vers la co-traitance et le produit fini,
pensez-vous que les entreprises tunisiennes de textile sont en mesure
d’effectuer cette migration?

La migration vers la co-traitance et le produit fini est un choix
longuement réfléchi et cette orientation a été adoptée sur la base de
l’évolution du secteur sur le plan planétaire, des transformations des modes
de la distribution particulièrement en Europe, premier débouché de nos
exportations et des dispositions et facultés de nos entreprises à assurer
cette transition. On savait, par ailleurs, que le processus est à la fois
complexe et long parce qu’il exige une métamorphose totale de la structure
même des entreprises engageés dans cette voie. Abandonner la sous traitance
et se lancer dans la cotraitance et le produit fini revient à dire presque
purement et simplement à quitter une entreprise pour en créer une autre avec
tout ce que cela implique en termes d’investissement, de formation de
personnel, d’organisation interne et de mobilisation de nouvelles
qualifications et compétences. L’exercice n’est pas facile quand la nature
même des rapports de l’entreprise avec ses partenaires change radicalement.
Juste pour l’exemple, les besoins en fonds de roulement entre les deux types
d’activité sont dans des rapports de 1 à 7. C’est dire la transposition
qu’il y a à mettre en place dans la nouvelle relation entre les entreprises
et les banques. Ceci n’a pas empêché une proportion remarquable de nos
entreprises à s’investir dans ce processus et ce sont justement ces
entreprises qui font la locomotive de la filière notamment sur les marchés
étrangers. La volonté y est mais l’adhésion de nouvelles entreprises reste
tributaire des améliorations à apporter au niveau des différents maillons de
la chaîne.

Quel est l’impact de la crise financière sur le secteur surtout avec la
stagnation des marchés européens ? Quelle influence sur les exportations
tunisiennes et quels sont les marchés alternatifs que les entreprises
tunisiennes pourront cibler ?

C’est peut être prématuré de quantifier l’impact de la crise sur le
secteur. Pour le moment, il y a quelques indices et par moments des
spéculations. Au terme des 11 premiers mois 2008, nos exportations ont
évolué de 0,8 % contre 16,8 % pour la même période 2007 qui a été, par
ailleurs, une année exceptionnelle. Difficile donc de se prononcer dans
l’immédiat sur l’effet de la crise même s’il est clair que la baisse des
commandes des distributeurs et des donneurs d’ordre européens va impacter
mécaniquement l’évolution de nos exportations. De toute façon,
l’appréciation de l’impact de la crise sur le secteur fait l’objet d’une
concertation régulière avec nos partenaires du CETTEX et du CEPEX.

Pour des raisons historiques et économiques, notre industrie est
fortement liée aux marchés européens. La sous traitance qui a été à la base
de la genèse du secteur textile et habillement a accentué ce phénomène de
dépendance. Cependant les entreprises qui ont développé leurs marques ou
leurs propres collections peuvent aspirer à d’autres alternatives. Les
marchés de l’UMA et de l’espace Agadir offrent de réelles opportunités à
saisir. Certaines de nos entreprises disposent déjà de leurs propres réseaux
de distribution au Maroc, en Algérie et en Libye.

Quelles sont les mesures éventuelles que les entreprises textiles
devraient appliquer pour gagner le pari de la compétitivité face à la
concurrence chinoise et turque ?

De quelque bord que nous soyons, entreprises, organismes de soutien et
administrations concerneés, on n’a pas d’autre choix que de jouer la carte
de la proximité et de la réactivité. Le marché du réassort et de la petite
série qui représente 30 à 40 % de la consommation en Europe est à notre
portée à condition que tous les intervenants soient prêts et disposés à
aller à fonds dans cette démarche. La compétitivité est un concept global où
les entreprises, les banques, les transporteurs, les administrations
apportent chacun sa contribution pour que nos produits soient les meilleurs
dans leur gamme, leur créneau ou leur segment de marché.

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