Pourquoi les crises n’atteignent pas la Tunisie

Le monde entier est chambardé. Le prix Nobel de l’économie a
été décerné à un homme remettant tout bonnement en cause les principes du
néolibéralisme ayant actuellement cours sur la plupart des pays de la planète.
Le triomphe de Paul Krugman étant adossé à la débâcle financière internationale.

D’autres penseurs, encore plus iconoclastes, comme Chomsky, par exemple,
sortent leurs griffes, pour égratigner les tenants du «profit avant l’Homme».
Rappelant au passage que les dragons asiatiques n’ont décollé, économiquement
s’entend, que grâce à quelques doses de protectionnisme savamment distillées.
Les ministres des Finances français, belge, japonais, s’affolent. A croire
qu’ils ont remisé aux oubliettes leur légendaire esprit zen. Les Britanniques
s’agitent, jetant leur flegme séculaire aux orties.

Et dans ce marasme intercontinental, force est de constater que notre pays va
bien. N’en déplaise aux jaloux et autres mauvaises langues. Des chariots aux
allures de wagon se remplissent dans nos grandes surfaces toujours plus
nombreuses. L’immobilier a beau éternuer, aux Etats-Unis, il ne s’enrhume jamais
en Tunisie. On construit à tour de bras, et la Banque de l’Habitat décroche des
récompenses internationales. Les spéculateurs spéculent, mais sans rogner sur le
pécule du Tunisien moyen. Le rêve est toujours permis dans notre pays. Puisque
plus de 80% de nos concitoyens seraient propriétaires de leur logement. Les
liquidités en viennent à manquer dans des Etats aussi puissant que les USA.
Alors que nous baignons dans la «surliquidité», nous disent nos banquiers.
Autant d’éléments qui nous donnent légitimement le droit de pavoiser, et de
bomber le torse de fierté.

Nos médias savent jouer leur partition, et se montrer apaisants. Ce qui n’est
pas facile : garder la tête froide alors que le monde est en ébullition est un
tour de force. Que nos experts nationaux accomplissent quotidiennement. Ils
analysent posément toutes les situations, avant de réagir calmement. Le Tunisien
moyen continue d’être éberlué par ses propres réussites éclatantes. De quoi nous
couvrir de gloire. Nous devrons exporter nos méthodes infaillibles. Une
invulnérabilité que d’aucuns jugeront surnaturelles. L’effet d’amulettes gardées
secrètes, pour éviter le mauvais œil de l’espionnage industriel.

Dans cet ordre d’idées, certains rappelleront la présence sécurisante et
protectrice de nos mausolées. Sidi Mahrez, bien sûr, le patron de la ville. Mais
aussi Belhassen Chedly, que l’on invoque incessamment depuis les années 90.
Certes, à eux seuls, les Saints Hommes ne sauraient nous préserver des
turpitudes du monde vaguement environnant. Seule la vraie compétence, celle de
la matière grise, paraît-il, nous permet d’émerger. Mais tout de même.

Ces chants cristallisent l’unité nationale, pour que l’on se tienne comme un
seul homme au devant des dangers. On se souviendra du reste que même en pleine
crise de la grippe aviaire, notre pays a été miraculeusement épargné. Il paraît
que la carte de la Tunisie n’était tout simplement pas intégrée dans les plans
de vols des volatils. Certes les industriels de la volaille se sont inquiétés un
certain temps, parce que les clients, influencés par les médias étrangers, n’en
voulaient plus, du poulet. C’est qu’on voulait leur faire passer les enfants du
Bon Dieu pour des canards sauvages. Mais Dieu merci, chez nous les crises,
jamais ne s’éternisent.