Jonglant avec les chiffres, abordant tous les aspects de l’économie nationale avec une parfaite aisance, Mongi Safra, conférencier, a présenté tout récemment, lors d’une journée dédiée à la présentation de la loi de finances à l’IACE, une analyse économique magistrale.

C’était une véritable radioscopie de l’économie nationale sous toutes ses coutures et dans toutes ses mesures, étudiée en profondeur et présentée à un auditoire composé d’opérateurs économiques et d’experts dans un langage simple, clair et sans fioritures.

Nous essayerons de transmettre ces leçons d’économie aussi fidèlement qu’il nous est possible de le faire en démarrant par le phénomène inflationniste en Tunisie, cause de tous les maux.

Abordant le problème de l’inflation, oh combien épineux aujourd’hui en Tunisie, Mongi Safra rappelle que, en une année, elle est passée de 6,7% à 10,1%.

Et il explique : « l’inflation a cinq causes, laissons de côté les causes monétaristes. Essayons un peu l’approche statisticienne plutôt qu’économiste, nous avons plus besoin de statisticiens que d’économistes et ceci est valable pour tous les pays du monde ».

En Tunisie, la première cause est structurelle et est liée aux salaires. Historiquement la Tunisie a toujours eu une inflation de 3 à 3,2%. Les augmentations des salaires sont de l’ordre de 5 à 6%, l’influence des salaires multipliée par 06 ou 05, vous avez les 3 points liés aux salaires, c’est l’inflation structurelle.

nous avons plus besoin de statisticiens que d’économistes et ceci est valable pour tous les pays du monde

La deuxième cause de l’inflation est celle liée aux mesures discrétionnaires de l’Etat. Lorsque l’Etat augmente les droits de douane et quand il y a de nouvelles dispositions fiscales, cette année, la TVA, l’année dernière c’était le tabac, cela se traduit par 1 point d’inflation. Si on ajoute l’aspect structurel de 3% à l’aspect discrétionnaire de 1 point, cela nous fait 4.

La troisième cause se rapporte au taux de change. Lorsque le taux de change se déprécie, il y a ce qu’on appelle le pass-through, c’est l’effet direct du taux de change sur les prix des produits, par le biais des biens importés.

L’effet pass-through conjugué à la dépréciation du dinar = 2 points d’inflation

En Tunisie, le coefficient du pass-through est de de 0,2, lorsqu’on déprécie le dinar de 10%, il y a immédiatement deux points d’inflation qui affectent l’économie. En 2022, le taux de change a baissé de 9% par rapport au dollar et de 3% par rapport à l’euro ; il a augmenté de 6% par rapport au dirham marocain. Le Maroc a appris la leçon et à la suite de la crise de l’énergie, il a commencé à déprécier beaucoup plus que la Tunisie qui a aussi apprécié par rapport à la Turquie et à l’Egypte tout en dépréciant face aux principales monnaies d’échanges : euro et dollar.

Si nous comptons 40% le dollar, 40% l’euro et 20% pour les économies concurrentielles et nous faisons la moyenne pondérée, nous trouvons une dépréciation de 4%. L’année dernière, la dépréciation a été de 4% par rapport aux différents paniers de nos pays partenaires. Cette dépréciation affecte immédiatement à raison du quart l’inflation, 0,2, 0,25 X 4%, ça fait 1 point. L’année dernière, il y a eu un point d’inflation en plus dû au change. 3 points d’inflation structurelle liée aux salaires, ajoutée au point se rapportant aux mesures discrétionnaires et à celui lié aux change, font 5 points d’inflation.

Pavé : L’inflation internationale hors énergie a été l’année dernière de 6%

Le quatrième facteur qui impacte le taux d’inflation tient aux prix extérieurs. Lorsque les prix extérieurs changent, ils affectent les prix intérieurs. L’économie tunisienne est très ouverte sur l’international. Ses importations dépassent la moitié de son PIB. L’inflation internationale hors énergie a été l’année dernière de 6%. Si on multiplie ce prix par un coefficient qui transforme cela en prix locaux, nous avons une augmentation de l’ordre de 1,8%.

Nous multiplions par 0,4 puisque les importations représentent 40% de notre demande. Si l’inflation mondiale est de 6, 6 X 0,4, ça fait normalement 2,4 ; mais il y a des prix qui ne suivent pas, notamment ceux des céréales parce qu’ils sont bloqués. C’est pour cette raison que j’ai été obligé de ne tenir compte que d’une partie de ce pass-through et m’en tenir à 1,8.

L’énergie

Le dernier facteur aggravant l’inflation est l’énergie. Lorsque les prix de l’énergie augmentent, ils affectent les prix locaux et il y a un coefficient aussi dans ces calculs. La part de l’énergie dans les coûts est en moyenne de 10%. Il faut multiplier les taux d’augmentation de l’énergie dans le monde par 0,1%, pour voir l’effet sur l’inflation au niveau local.

En Tunisie cela n’est pas systématiquement répercuté sur les prix puisque les prix sont contrôlés. Tout dernièrement, il y a eu de petites augmentations de l’ordre de 1/5.

Si on calcule la somme des cinq composantes citées plus haut, on a un taux d’inflation qui a augmenté de 8,3 : 3 structurel(s), 1 discrétionnaire, 1 taux de change, 1 les prix internationaux, 1,5 l’énergie, et vous avez vos 8,3%. Ce modèle permet de prévoir, à la virgule près, le taux d’inflation tous les mois.

Pour 2023, le ministre de l’Economie et de la Planification a annoncé un taux d’inflation de 10,5, le même chiffre annoncé par le FMI (Fonds monétaire international). Le gouverneur de la Banque centrale de Tunisie a, pour sa part, annoncé 11%. Le taux d’inflation anticipé pour l’année 2023 se situe donc entre 10,5 et 11%. La question qui se pose est pourquoi il est à la hausse alors qu’en 2022 il était de 8,3%.

La LF2023 a prévu un réajustement des prix des produits de base et de l’énergie, et le FMI a prévu une dépréciation du dinars de l’ordre de 10%

Et Mongi Safra de développer : la loi de finances a prévu un réajustement des prix des produits de base et de l’énergie, et le FMI a prévu une dépréciation du dinars de l’ordre de 10%. Donc 2 éléments qui exacerbent la tendance inflationniste. Nous sommes déjà à + de 10% cette année, l’indice est déjà élevé, il n’est pas près de redescendre. Ce taux persistera encore pendant quelques mois avant de se stabiliser.

A suivre

Amel Belhadj Ali

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