Jean Louis Guigou : “Créer une verticale Europe-Méditerranée-Afrique“

jean-louis-guigou-ipemed.jpgRencontré lors du Forum mondial des Caisses de Dépôts et de consignations, Jean Louis Guigou, secrétaire général de l’Ipemed, évoque pour les lecteurs de Webmanagercenter.com les perspectives de la croissance économique du contient africain et le rôle des CDC.

Entretien

WMC:  L’économie mondiale est la résultante des grands rassemblements économiques régionaux. Ces ensembles sont en perpétuelle agitation. Comment stabiliser cette mécanique des échanges?

Jean Louis Guigou : Aux grands blocs idéologiques de la guerre froide ont succédé de grandes régions du Nord, développées mais vieillissantes qui cherchaient à coopérer avec leur Sud, jeune et émergent. L’Amérique du Nord coopère avec l’Amérique du Sud, la Chine et le Japon avec les tigres et les dragons de l’ASEAN. Et l’Europe ne le fait pas encore de manière significative avec l’Afrique.

A l’heure actuelle, on assiste au retour de la proximité géographique. Le dispatching des chaînes de valeur se fait au nom de cette logique. Le capital est bien entendu derrière cette dynamique. L’UE devra, de mon point de vue, jouer à fond la carte de l’Afrique et structurer cette relation selon ma proposition de verticale “Europe-Maghreb-Afrique.

La Verticale, c’est une construction intellectuelle ou une vision réaliste?

Il s’agit d’une vision parfaitement réaliste. Et, je vous retourne la question: Où était le président Obama les 10 et 11 avril? Nous savons tous qu’il a rejoint le sommet des Amériques, à Panama, pour se concerter avec 35 de ses pairs chefs d’Etat américains. D’abord, il a enterré la hache de guerre avec Cuba, tirant le rideau sur cette rivalité dépassée entre capitalisme et communisme. Et, sous son impulsion, les chefs d’Etat américains ont parlé de solidarité, de proximité et de complémentarité. Devinez qu’elle a été la riposte de la Chine? C’est par la création d’une banque asiatique dédiée au financement de l’infrastructure et de l’investissement. Bien entendu, tout cela s’inscrit dans une nouvelle logique dictée par le capital.

La répartition de la chaîne de valeur s’effectuerait selon votre règle des 20/40/60? Cela pourrait se vérifier avec la verticale?

Je pars du point de vue que la RFA (République fédérale d’Allemagne, NDLR) a réussi à répartir sa chaîne de valeur nationale avec son voisinage d’Europe centrale. Et cela fonctionne bien. Et cette règle de répartition de la valeur est un préalable à la diffusion du pouvoir d’achat donné aux pays partenaires pour financer leurs commandes. Cela semble inéluctable. Et je pense que ce dispatching de valeur ne peut venir que d’initiatives de regroupements régionaux car je crois à la solidarité née de la proximité.

Le G7 ou le G8 ou le G20 ne peuvent y satisfaire car ça doit s’inscrire dans une logique de regroupement régional, étant donné que la proximité est un élément très fort. La Verticale doit réunir des partenariats structurants entre les Européens, les Arabes et les Africains. Ce sera dur mais c’est inévitable.

Quid des blocages régionaux?

Rien ne résiste aux dynamiques du capital. Sachez qu’en 1990, il existait 50 accords régionaux de commerce. A l’heure actuelle il en existe 350. Tous les pays voisins se livrent à ce maillage. Et je vous fais le pari que le Maroc et l’Algérie finiront par s’entendre car le Maghreb doit se réaliser afin de se doter d’une taille critique, et ce sera votre ticket d’entrée dans cette vaste dynamique.

Vous pariez sur le Maghreb de l’économie?

Ni le politique, ni le culturel ni le religieux ne pèseront devant la rationalité économique. Prenez l’exemple de l’Europe, elle a bien commencé par la Communauté de l’acier et du charbon, puis la Politique agricole commune. Les entreprises sont le fer de lance, les légionnaires de ces recompositions économiques.

La Chine ou l’Amérique ne procèdent pas autrement. Il y a deux composantes clés. Il y a d’abord la banque de développement -et là je reviens à l’exemple de la Banque asiatique du développement. Ensuite, il faut promouvoir un think tank.

En Amérique, il existe le CEPAL (Cercle économique pour l’Amérique Latine). Il regroupe 700 chercheurs et dispose d’un budget annuel de 40 millions de dollars. Il existe un similaire asiatique, le Centre international pour la recherche pour l’ASEAN. Nous n’avons ni la banque ni le think tank entre l’Europe et l’Afrique. Il faut commencer par là. Un think tank est un cénacle où se rencontrent chercheurs et politiques pour se forger une pensée convergente et pour tisser les réseaux.

Comment structurer la Verticale de l’industrie?

Le redéploiement à l’intérieur de l’Europe a bien fonctionné. EADS a réuni les meilleures compétences là où elles se trouvent pour assembler les Airbus. Elle fabrique bien les carlingues en Allemagne, les moteurs en Ecosse chez Rolls Royce, les faisceaux électriques en Espagne, pour un assemblage qui se fait en France. On doit pouvoir reproduire un schéma similaire pour la Verticale Europe-Méditerranée-Afrique. L’Europe a besoin de la qualité et doit répartir la chaîne de valeurs selon les meilleures dispositions de compétences dans les territoires voisins.

En somme, vous proposez un new deal?

Nous disons que la Méditerranée ne doit pas être regardée comme un cul de sac pour l’Europe mais bien l’ornière entre l’Europe et l’Afrique. Et il faut bien s’y faire et revoir nos schémas mentaux respectifs, en conséquence.

Quel rôle pour les CDC dans cette perspective?

Les CDC peuvent être à l’origine de la Banque euromédafrique. Cette institution pourra sécuriser les investissements à long terme et activer le PPP si nécessaire au développement des infrastructures. Les CDC ont la confiance des populations aux différences des autres institutions de marché trop court-termiste.