Humeurs hasardeuses : La Révolution est porteuse…

revolution-tunisienne-2013-01.jpgQue diriez-vous à tous ceux qui, à longueur de rencontres, vous assènent de complaintes nostalgiques de l’époque de Ben Ali! Ils expriment un ras-le-bol général qui est en passe d’envahir toutes les sphères dans les pays. Les intellectuels ont encore de la pudeur de se l’avouer et contournent l’obstacle, mais le chauffeur du taxi que j’ai pris ce matin me l’a sorti à la première occasion: «personne ne veut plus respecter la loi! Le pays est à l’abandon! Avec les Ben Ali, c’est vrai qu’ils volaient à tour de bars, mais l’ordre régnait et le “zaouali“ se retrouve!»

Allez expliquer à ce monsieur harcelé à longueur de journée par les mauvais conducteurs, la police absente, les mairies négligentes, les prix en hausse. Allez lui expliquer que nous avons fait une REVOLUTION! Et après?!

Le pire c’est que nous vivons ces jours-ci une énième déception de cette révolution qui nous fait voir rouge, et pourtant nous réagissons à peine! La déception du gouvernement des technocrates, qui nous a été présenté comme le Saint Graal, est peut-être la dernière en date mais sûrement la plus profonde jusqu’à maintenant!

Avec les gouvernements d’après la Révolution, nous nous sommes habitués à dire que le pire est passé et que le meilleur est en route. Ghannouchi I et Ghannouchi II, Essebsi et son gouvernement des élections, Jebali, et enfin Laarayedh nous ont fait subir les pires désenchantements. Avec Mehdi Jomâa, une large frange de la population s’est mise à rêver que ces technocrates pourront peut-être nous redonner espoir et conduire le pays vers des horizons plus ouverts.

Rien de tel ne s’est produit. Le mal est plus profond que nous le croyons. La Révolution, ou ce qui en tient lieu, a enregistré une seule victoire. Dénuder notre personnalité complexe forgée par 60 ans de dictature bourguibienne et sa variante policière et mafieuse. Maintenant le roi est nu!

Nous nous sommes habitués à un mode de fonctionnement de l’Etat et de la société extrêmement pervers. Le concept de citoyenneté nous a été étrange et nous voilà au milieu du gué à voir le pays s’engouffrer chaque jour dans le marasme et plein d’amertume, nous souffrons mais sans aller plus loin. Longtemps le concept même de l’initiative nous a été interdit. Alors, comment raviver la flamme?

Nous n’avons confiance en personne. Les partis? Nous les décrions! Les personnalités, nous les abaissons à longueur de journée sans aucun égard pour rien de ce qu’elles ont pu endurer! Les associations? Nous les assimilons toutes à l’association des amateurs des oiseaux! Les institutions? Elles sont toutes noyautées, à notre avis! Les médias? Tous pourris!

Pendant ce temps, nous participons tous à l’œuvre dévorante de destruction. Les fonctionnaires ne travaillent plus, les responsables ne prennent pas de décisions. Les professeurs désertent les salles de classe, les chômeurs pestent et les travailleurs râlent ou ils sont en grève. Le pays est sale, désorienté, l’économie agonise, les prix montent, les profiteurs profitent encore et la rue de Boumendil -emblème du système D tunisien- a débordé sur Bab el Jazira et bientôt elle aura des succursales aux Berges du Lac!

Regretter Ben Ali? Il se peut que ce soit un moindre mal! Avec toutes les réserves d’usage!