Makram Ben Sassi, DG de Zitouna Takaful : “Dans le monde développé, les assureurs sont les propriétaires des banques, dans notre pays, c’est le contraire …”

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La compagnie des assurances Zitouna Takaful est détenue à hauteur de 96% par l’Etat tunisien et dispose d’un capital de 15 MDT. L’Embedded Value + le goodwill de «Zitouna Takaful» pourrait être multiplié par 10 en l’espace de tout juste 5 ans, estime Makrem Ben Sassi, DG de Zitouna Takaful.

Evoquant ce nouveau produit de la finance islamique, Makrem Ben Sassi ne raisonne pas en termes de hallal ou de haram mais il en parle plutôt comme une panoplie de produits répondant à des besoins exprimés par une frange de la société tunisienne qui porte en elle des convictions différentes quant à l’usage de ses ressources et de son patrimoine: «Il ne s’agit pas de clichés dénués de tous sens et de toutes consistance, il s’agit d’offrir à nos concitoyens la liberté de choisir dans un contexte où le respect de l’autre et de son droit à la différence revêt toute son importance».

Makrem Ben Sassi, croit en ce qu’il fait et en ce qu’il peut faire en Tunisie et à l’international en matière d’assurances islamiques. Pour lui, le plus important est l’expertise en matière de finance islamique et particulièrement l’Assurance takaful… La Tunisie n’en manque pas.

Entretien.

WMC : Cela fait quelques années que la finance islamique a démarré sa conquête de la Tunisie, «Zitouna Takaful» après la Banque Zitouna, allons-nous vers une mise en place d’un réseau intégré de finances islamiques en Tunisie?

Makrem Ben Sassi : Comme vous le disiez si bien, «Zitouna Takaful» est un maillon de plus dans la chaîne de la finance islamique. Une finance islamique qui a fait ses preuves dans d’autres pays, et ce depuis plusieurs décennies. Dans les marchés précurseurs, cette finance s’est très bien développée mais avec certaines disparités d’un marché à l’autre. La raison en est simple, il y en qui ont entrepris des démarches respectueuses des principes de la finances islamique en prenant en compte le contexte socioéconomique dans lequel ils évoluent, d’autres ont fait les choses à la-va-vite sans démarche scientifique, ce qui a donné de mauvais résultats.

Qu’ajouterait Zitouna Takaful au secteur des assurances?

Tout simplement, un produit supplémentaire et une alternative pour tous ceux et celles qui sont réticents quant à l’assurance conventionnelle. Nombre de personnes n’adhèrent pas au circuit de l’assurance conventionnelle pour des raisons religieuses ou autres. Quoi de plus légitime et de naturel que de leurs proposer un produit qui puisse répondre à leurs attentes dans le respect de leurs convictions. Ceci leur permet d’accéder au circuit économique et de contribuer à l’effort d’épargne nationale et par conséquent de financer l’économie tunisienne.

Ceci évite également que l’on passe à côté d’importantes ressources financières qui peuvent servir notre économie nationale. Il y a une partie de la population qui a choisi de ne pas adhérer et de ne pas faire appel aux structures/institutions de la finance conventionnelle. Ils investissent dans leurs projets par leur propre ressources/argent et ne passent pas par les circuits classiques. Vous serez étonnée du nombre de fortunes qui, pour la première fois, souscrivent des polices d’assurances.

A Zitouna Takaful et à travers notre petite expérience de 8 mois d’activité, nous avons constaté que beaucoup de commerçants de grandes tailles financières n’ont jamais souscrit de police d’assurance pour protéger leurs patrimoines, qu’il soit immobilier ou autre, chose qu’ils ont commencé à faire à travers notre société.

C’est une grosse perte pour notre économie et la communauté nationale de ne pas trouver la solution pour intégrer ces ressources extraordinaires dans le circuit économique tunisien.

Et vous pensez que, grâce à Zitouna Takaful, vous pourriez répondre à leurs attentes sans heurter leurs convictions religieuses?

D’ores et déjà, l’une des grandes réalisations de l’Assurance Takaful est d’offrir des produits à la carte pour tous ceux qui sont réticents à l’assurance conventionnelle. Attirer ces Tunisiens et les convaincre à adhérer au concept «Takaful» contribuera à améliorer le marché des assurances, son taux de pénétration, et ceci à tous les niveaux -de l’assurance automobile (la plus classique) jusqu’à la retraite complémentaire.

Et vous pensez pouvoir répondre à toutes ces nouvelles exigences grâce au package de produits islamiques que vous comptez mettre sur le marché?

Nous avons déjà mis sur le marché un ensemble de produits Zitouna Takaful qui ont rencontré la satisfaction de nos participants (assurés) et sommes toujours dans la création et le développement de nouveaux produits takaful.

Les premières règles d’une démocratie consistent en le respect de la différence et la liberté du choix. Ceux qui veulent s’assurer par le biais des assurances conventionnelles peuvent le faire à travers les sociétés d’assurances conventionnelles; les autres ont aussi le droit de choisir la forme d’assurance qui répond à leurs convictions; Zitouna Takaful s’est fixé comme mission principale de proposer une solution alternative.

Qu’offrez-vous de plus que les autres produits conventionnels d’assurances, la seule différence serait-elle dans l’habillage et la forme du produit avec une similarité pour ce qui est du contenu ou du fond?

Ce qui nous différencie des assurances conventionnelles est le mode de gestion. C’est suffisamment expliqué dans notre site. Il suffit de se rendre sur la toile et mettre «Takaful, mode de gestion» et vous serez submergés par des tonnes d’articles à propos de nos produits. C’est assez bien rédigé, c’est à la portée de tous les Tunisiens qui compareront entre nos offres et celles mises sur le marché.

L’un des atouts que nous voulons renforcer et sur lequel nous travaillons sérieusement est la qualité de service, l’innovation et la création d’une expertise en Assurances Takaful.

Pourquoi faire? Personnellement, j’ai un background de réassureur. J’ai travaillé avec des Britanniques et dans nombre de pays où a fleuri la finance islamique. Une carrière de 15 ans en tant que réassureur m’a permis de relever les avantages et les inconvénients de la pratique de la finance islamique dans d’autres marchés pour pouvoir les comparer avec l’état de fait en Tunisie. Il y a énormément à faire en matière de qualité de service, de réactivité et même de communication entre la société d’assurance et l’assuré lui-même.

Pensez-vous que vous êtes dépassé par le secteur bancaire à ces niveaux?

Certainement. Je trouve que les banques nous ont http://www.webmanagercenter.loc/management/journaliste/fckeditor/editor/images/spacer.gifdépassées. Elles ont une longueur d’avance sur nous et j’estime que nous ne devons pas rester les parents pauvres du monde de la finance. Dans le monde développé, les assureurs sont les propriétaires des banques, dans notre pays, ce sont les banquiers qui sont les propriétaires des assurances, cela veut tout dire. Je dis cela sur une note d’humour, car si un jour nous arrivons à inverser la situation, nous ferons partie du monde développé… La raison en est simple: l’assurance a un impact sur le social.

Si le social va bien, l’économie ira mieux.

Un exemple concret pour illustrer cette dimension: l’assurance est un outil de planification et de prévoyance, et le jour où nous Tunisiens commençons à prévoir et mieux planifier notre vie, on s’orientera vers la réussite. (Ex : vous avez un enfant âgé d’une année et vous voulez lui planifier les meilleures conditions pour réussir ses études notamment universitaires, la solution est de lui assurer une bourse pour ses études en lui souscrivant une assurance Takaful «bourse d’étude». Vous avez donc commencé à planifier les meilleures conditions pour la vie de votre enfant).

Quand on planifie pour notre vie, nous devenons organisés et par conséquent pourrons prétendre au label peuple développé…

Où se trouve dans ce cas la différence entre les assurances conventionnelles et celles islamiques, ne serait-elle pas tout simplement dans la customisation du produit?

La différence avec le conventionnel est qu’une prime d’assurance que vous payez à une société d’assurance conventionnelle devient sa propriété, celle-ci s’engage à vous indemniser en cas de sinistre. Ce n’est pas le cas pour nous. Dans le takaful, la prime «contribution» est la propriété du Fonds, et «Zitouna Takaful» gère les fonds selon les normes et les préceptes de la finance islamique sous le contrôle d’un comité Charia.

Donc la grande différence entre nous et l’assurance conventionnelle, c’est la relation contractuelle. Pour plus d’éléments, j’invite vivement nos chers lecteurs de «Webmanagercenter» de jeter un coup d’œil sur le site de «Zitouna Takaful».

Quels sont les produits innovants que vous comptez concevoir et mettre sur le marché tunisien?

Parmi les produits innovants, je vois bien le micro takaful. C’est un produit très délicat, et je pense qu’il peut avoir un avenir grâce notamment au développement de la microfinance et des microcrédits que nous voyons proliférer partout.

En Tunisie, il y a un nombre de produits que nous sommes en train d’étudier dans le but de mesurer leur adaptabilité au contexte culturel tunisien. Beaucoup de produits commercialisés sur d’autres marchés peuvent l’être chez nous, mais nous voulons être prudents et ne pas négliger la dimension culturelle ainsi que la maturité du marché et la mesure du risque. Nous ne pourrions réussir pareils projets qu’en partenariat avec des réassureurs qui ont plus d’expériences.

Pour résumer, nous essayerons d’adapter les réussites des autres au contexte socioculturel de la Tunisie. Nous n’allons pas réinventer la roue mais juste nous munir des outils les plus efficients pour assurer notre réussite sur le marché national.

Avez-vous une idée sur les parts de marché que vous pourriez avoir en tant qu’assurances takaful?

D’après nos études et l’expérience que nous avons accumulée à travers d’autres marchés semblables au nôtre, nous préconisons une part de marché aux alentours de 8% dans les cinq années à venir. Toutefois, aucune étude sérieuse au niveau national n’a été faite à ce sujet. Une agence de sondage d’opinions a réalisé un sondage qui a fait ressortir le constat suivant: Il faut du temps pour que la finance islamique s’installe dans notre société et il faut beaucoup d’effort de communication et de formation notamment de nos réseaux de distributions.

Mais je suis optimiste, je crois en cette finance et je pense qu’il faut donner du temps au temps. La finance islamique a besoin de beaucoup de courage pour continuer à aller de l’avant dans le contexte concurrentiel actuel. Parce que c’est une finance où l’on ne peut ni brader les prix ni aller à l’encontre des principes islamiques mis en place par la charia board.

Dans tout début il y a les difficultés de démarrage et la finance islamique débute à peine (environ 1% de l’industrie financière classique). C’est très complexe, surtout que dans les assurances nous gérons le risque tout en étant vigilants au vu de toutes les interactions et les intervenants qui y interfèrent, à commencer par les réassureurs, les clients, les autorités, etc.

Je ne veux pas donner le mauvais exemple de la première assurance takaful qui a fait faillite à Londres il y a 5 ans. Mais il ne suffit pas de mettre le label islamique ou conforme à la charia pour que votre projet réussisse, ou que vous soyez épargnés des dangers qui guettent cette industrie assez particulière. Il faut faire attention, les règles universelles de l’assurance restent de rigueur. Il faut être bon manager, étudier le risque et ne pas se hasarder sans réflexion et études approfondies.

Qu’apportera la finance islamique à la Tunisie en matière d’expertise, de conquête et de développement des marchés national et international ?

Quel est l’avenir de la finance islamique? Quelle est notre contribution dans tout cela? Comment pouvons-nous faire en sorte que la Tunisie puisse se positionner en tant que plateforme financière régionale? Quand je dis régionale, je parle de la région MENA et de l’Afrique subsaharienne. Nous Tunisiens accusons un retard considérable qui se creuse de plus en plus face à l’avancée des Marocains dans le domaine des finances et surtout des banques. Nous pouvons faire de la Tunisie une plateforme de la finance islamique pour conquérir des marchés qui sont avides d’une expertise tunisienne. Nous avons fait nos preuves dans pas mal de domaines et nous pouvons aussi le faire dans celui de la finance islamique.

En Afrique subsaharienne, il y a une demande énorme en matière d’assurances conformes aux préceptes de la finance islamique. Les Marocains l’ont compris. Ils veulent cibler cette niche et ils sont en train de développer une expertise pour s’exporter dans ces régions à travers des géants financiers marocains.

Je pense que nous avons encore le temps de rattraper ce retard et faire de Tunis une plateforme pour attirer des investissements et avancer sur les pas de Bahreïn, Dubaï ou Kuala Lumpur, ou même Singapour et Hong Kong, où on commence à parler de l’assurance takaful.

La Tunisie dispose-t-elle de l’expertise et des réseaux nécessaires pour y réussir ?

Le développement d’une expertise en assurance takaful est en bonne voie. Nous ne pouvons pas nous limiter à nos frontières et rester Tuniso-tunisien pour toujours, parce qu’il nous faut voir grand et voir grand c’est voir «out of the box».

Zitouna Takaful est une compagnie d’assurance tunisienne qui peut se doter d’une dimension internationale. D’où, il revient aux investisseurs dans ce domaine d’oser et d’avoir cette dimension internationale, complémentaire à la dimension locale bien entendu, en créant une expertise takaful pouvant être exportée, et ce à travers l’implantation d’un réseau dans la région MENA ou en Afrique.

Avez-vous reçu des sollicitations dans ce sens?

Bien évidemment, personnellement j’ai été sollicité notamment en Mauritanie pour assurer des présentations et d’exposés et contribuer à la création d’une société d’assurance takaful. Nous gagnons déjà une notoriété, une présence à l’international pourquoi pas, dans ce cas, un investissement précurseur dans des marchés prometteurs. Tout le monde entrevoit l’Afrique comme un marché d’avenir. Pourquoi pas nous? L’Afrique est un marché qui croit à une vitesse grand V et qui possède beaucoup de richesses et beaucoup de moyens. Je pense que nous pouvons y trouver notre place. Les Chinois continuent à investir tous azimuts en Afrique. Les Marocains aussi, les Européens continuent à protéger leurs parts de marchés et les Américains lorgnent de l’œil vers notre continent. Nous devons nous y positionner via la finance islamique, attirer des investisseurs chez nous et prendre la Tunisie comme base de départ pour d’autres actions.

Vous pensez réussir avec une expertise à 100% tunisienne à conquérir pareils marchés?

Nous pouvons être un produit 100% tunisien et nous imposer dans ces marchés. Notre ambition est d’offrir notre expertise et de former les locaux dans un souci de proximité et d’approche culturelle. Mais, c’est nous qui assurerons la formation des experts là où nous nous installerons. Nous transmettrons les techniques et les adapterons aux spécificités socioculturelles. Il s’agit de mettre en place des compagnies takaful à partir de chez nous, et de les remettre clés en main. Cela se fait dans d’autres secteurs, pourquoi pas dans le nôtre?

Je reviens à ma question : quelle est l’utilité de tout cela pour la Tunisie qui s’est laissée dépassée ou surpassée dans le secteur bancaire alors qu’elle était un pays précurseur en Afrique ?

C’est tout d’abord une notoriété, des investissements dans d’autres marchés hors frontières qui ramènent des dividendes et des richesses. Je prends l’exemple du Liban. Il y a 4 millions de Libanais à l’intérieur du pays, et hors Liban il y en a 15 millions. Ces gens-là investissent ailleurs parce que la taille du marché libanais ne peut supporter autant d’investissements.

Pareil pour le marché tunisien nous ne sommes que 12 millions, ou même moins. Nous ne pouvons pas créer une industrie de finances internationales et attirer les «Big boys» du secteur sans créer une plateforme de services performants et compétitifs. Nous avons ce qu’il faut. Un positionnement géostratégique idyllique et le potentiel humain qui va avec. Il faut donc beaucoup travailler sur cela dans une vision stratégique.

Posons-nous une question à moyen terme: comment voulons-nous notre Tunisie en 2020? C’est dans 7 ans. 7 ans c’est une période raisonnable pour mettre en place un business plan pour la plateforme financière et commerciale pour Tunis.

Comment pourrait-elle être financée et quel serait l’apport de nos propres investisseurs dans son édification? Arrêtons de parler de ce port financier où l’on brasserait des milliards qui passeraient sous le nez des Tunisiens, sans qu’ils en profitent réellement. Nous pouvons investir dans la matière grise tunisienne pour qu’elle devienne exportable et utile. Les investisseurs viendront dans notre pays parce qu’ils savent qu’ils auront à disposition des cerveaux et que leurs affaires pourraient être gérées selon les standards internationaux, ce qui leur fera gagner beaucoup d’argent.

Il faut que les lois avancent et soient plus souples pour que nous soyons plus privilégiés que la plateforme de Dubaï ou Bahreïn. Si nous sommes sérieux, si nous savons où nous allons, nous avons tous les atouts pour réussir, la compétence, le positionnement géographique, les ressources culturelles, et humaines.

Nous pouvons d’ores et déjà commencer par notre diaspora en France, c’est un grand marché où nous pourrions susciter une véritable dynamique. Nous avons besoin de visionnaires pour pouvoir tracer l’avenir et nous pouvons commencer par le réel développement d’une finance islamique parallèlement à la finance conventionnelle. Ce qui nous manque à nous Tunisiens, c’est de voir grand, pourtant, nous en avons les moyens.