SOCIETE – S’immoler par le feu… Enjeux et significations

simmoler-080412.jpgL’immolation par le feu ne s’est pas arrêtée après Bouazizi. Elle n’a pas non plus commencé avec lui. Mais elle passe presque inaperçue en ce moment, pourtant plusieurs tentatives sont constatées ici et là… Il suffit de lire la presse.

A la mémoire de ces êtres humains qui ont dû tellement souffrir dans leurs vies, qu’ils ont préféré mettre le feu à leur propre chair. Oui les mots sont choquants, mais ce serait presque indécent d’utiliser des mots soft, pour décrire une telle détresse.

Désir de mort ?

Pas tant que cela non. Celui qui veut juste mourir peut recourir à des moyens beaucoup moins douloureux. Il faut croire que l’immolation par le feu est désir de vie, à la limite. On a tellement envie de vivre que l’on crie sa détresse à tout le monde, le feu étant ce qu’il y a de plus spectaculaire, de plus choquant et de plus douloureux peut-être…

La personne qui «se met le feu» est en train de crier, si ardemment, sa colère, une douleur qui déchire son âme, si fort, si intensément, que seul le feu qui brûlerai la peau pourrait faire oublier, ou pourrait dépasser. Il faut bien mesurer tous les aspects de cet acte. S’immoler par le feu est un acte spectaculaire, à «efficacité» non garantie, car on peut toujours porter secours, et permettre à la personne de vivre. C’est donc en effet un appel à la vie.

De quoi s’agit-il ?

Le suicide est un phénomène qui a toujours existé dans les sociétés humaines. Il n’est pas nouveau. Mais pour nous, c’est un phénomène nouveau, très spectaculaire, choquant même dans une société de tradition arabo-musulmane, et où le suicide est formellement interdit par la religion. Par toutes les religions d’ailleurs, le suicidé reste damné dans les enfers à jamais.

La passion de Jésus c’était de finir brûlé aussi. Et de tous les temps, on brûlait les sorcières, non pas pour les condamner à mort, juste cela, non, mais pour donner une leçon à tous ceux qui penseraient faire pareil. Immolation des savants qui sortent du rang aussi, depuis l’antiquité. L’idée est la même: donner l’exemple. De Didon, reine mythique de Carthage, qui s’est immolée par le feu pour rester fidèle à la mémoire de son mari, aux jeunes de l’après 14 janvier… faut-il croire qu’il existe un gêne tunisien … du feu?

Acte spectaculaire

S’immoler par le feu, sur une place publique, en alertant peut-être des amis qui ont des téléphones portables pour filmer… est un acte d’une autre nature. Je ne vais surtout pas juger. J’essaye de comprendre, et de provoquer le débat.

Un acte spectaculaire, et qui se lit dans un cadre global, celui de la société de l’image, et de cette révolution de l’image. On est sûr que les gens vont regarder, et s’intéresser. Le Tunisien n’est pas fait d’un ADN particulier, c’est juste qu’il ne supporte pas la misère, il ne supporte pas l’injustice, il veut sa dignité, il exige d’être écouté.

Le Tunisien a peut-être aussi une sensibilité à fleur de peau… Tout de suite monter sur ses chevaux? Même pour une dispute familiale…? Je ne peux pas croire que seule la dispute familiale serait à l’origine d’actes aussi graves que l’immolation par le feu.

Tendance destructrice? J’espère que non. J’espère que ces actes vont diminuer, et que l’on ne parle pas de tendance destructrice, mais plutôt créatrice.

Que peut-on faire ?

Lever les barrières. Laisser les gens s’exprimer, laisser les gens vivre et s’épanouir, développer leurs potentiels. Ne pas bloquer. Ne pas causer de frustrations… Un simple agent dans une administration a une responsabilité immense, de répondre aux gens, même à 6h moins le quart (juste avant de rentrer) et avec le sourire. Une simple infirmière, ou standardiste, dans un hôpital public, a une responsabilité immense, de faire son possible pour aider les gens, à obtenir les soins, les bons soins, aux moindres délais, de leur trouver la bonne procédure d’inscription, au bon service, avec le bon médecin, etc. C’est des petits riens pensez-vous. Oui en effet, mais tout commence par les petits riens…

La colère ne naît pas en un jour ou en un mois, c’est un cumul, de frustrations continues, et répétées. Ce qui ne s’exprime pas s’imprime. C’est-à-dire qu’une énergie négative sera emprisonnée là au fond de la personne, elle va le faire souffrir, encore et encore, avec le temps. Le jour où elle devient insupportable, il va vouloir quitter son corps, pour la fuir elle. Puisqu’il n’arrive pas à la faire sortir, de son corps.