Le secteur viticole en Tunisie…une si longue histoire


Par Amel Djait Belkaid

uccv-4649-0.jpgDébutée dans l’antiquité
comme dans d’autres pays du Bassin méditerranéen, grâce aux Phéniciens et
Carthaginois, la
viticulture en Tunisie a une longue tradition derrière elle. Les vins
tunisiens étaient exportés dans quasiment tous les territoires bordant la
Méditerranée. Cinq siècles avant l’ère chrétienne, dit-on, les vins de la
colline de Byrsa, à Carthage, étaient déjà célèbres.

 

Des mosaïques antiques
représentent le déchaussage et le sarclage de la vigne, le foulage du raisin
et le culte voué à la vigne et au vin est encore visible dans les principaux
musées du pays. À ne citer ici que la magnifique mosaïque de Bacchus, dieu
du vin, qui trône au musée de Sousse. Erudit Carthaginois et célèbre enfant
du pays, Magon entre dans la postérité en rédigeant son célébrissime traité
d’agronomie. Son nom est encore évoqué, fêté par un vin rouge qui porte son
nom.

 

Avec l’arrivée des
Français, les résultats de la viticulture renaissante sont encourageants et
la production du raisin s’organise. Les découvertes de Pasteur sur les
fermentations alcooliques proposent des solutions au problème de
vinification en pays chaud. Le Maghreb devient alors l’un des plus gros
producteurs du vin au monde.

 

Sous le contrôle de
l’État tunisien, au travers de l’Office du Vin puis de la Vigne, le vin
tunisien connaît une longue traversée de désert. Vendu en vrac, il se noie
dans l’anonymat et sa médiocrité le dédie à une utilisation industrielle ou
au coupage à d’autres vins le réduisant à un «vin médecin», entendez, vin
correcteur.

 

La disparition de
l’Office de la Vigne, la naissance de Sociétés de Mise en Valeur de
Développement Agricole ‘’SMVDA’’, sociétés privées mixtes ouvertes à
l’export, la restructuration de celui qui fait office de porte-drapeau de la
vitiviniculture en Tunisie, à savoir l’Union Centrale des Coopératives
Viticoles (www.uccv.com)
et à coup d’investissements conséquents, d’une politique de mise à niveau et
en valeur, les vins tunisiens reprennent leurs lettres de noblesse.
Désormais ils se hissent vers une reconnaissance internationale.

 

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Après une longue éclipse, l’industrie vinicole semble en
pleine expansion dans le monde arabe, notamment au Maroc, en Algérie, en
Egypte, au Liban, en Jordanie et bientôt en Syrie. 80.000 hectares sont
dédiés à la vigne de cuve (Tunisie incluse) produisant 1,3 million
d’hectolitres de vin, soit 146 millions de bouteilles, selon un calcul de
l’AFP. Le chiffre d’affaires serait de 340 millions de dollars, soit 230
millions d’euros.

 

En sept ans, l’Egypte a doublé sa production pour atteindre
aujourd’hui 8,5 millions de bouteilles, dont les trois-quarts sont consommés
par les touristes. Aujourd’hui, l’Oranais en Algérie, le cap bon en Tunisie
et Meknès au Maroc produisent la majeure partie des vins arabes avec 1,3
million d’hectolitres et une quinzaine d’appellations contrôlées, dont 20%
sont exportés vers l’Europe.

 

Sujet tabou, me
diriez-vous? Assurément. Mieux que toutes les équipes de sport, toutes
disciplines confondues, le vin tunisien fait des vagues. Il récolte, en
2007, 24 médailles (entre or, argent et bronze, et distinctions à des salons
spécialisés tels que : le «Challenge
International du Vin
» le «Concours
Mondial de Bruxelles
», «les
Citadelles du Vin
», «le
Mondial du Rosé
», qui sont les grands rendez-vous mondiaux du
secteur.

 

Remportant succès après
succès depuis deux-trois ans, cela fait largement plaisir et on ne va pas se
priver de le mentionner. Cette carence en communication vient-elle des
médias ou des producteurs qui ont finalement appris à se faire discrets ?

 

Les retombées médiatiques
de ses succès sont en conséquence de cette «success story». Le lectorat
d’une presse spécialisée importante est admirateur des résultats et un
énorme «regain d’intérêt vers un pays
qui a une longue tradition de tolérance
» semble susciter
l’intérêt d’investisseurs étrangers.

 

Cependant, même dans le
milieu, le sujet reste délicat. Des employeurs satisfaits d’avoir trouvé le
profil adéquat à quelques postes à pourvoir voient leur futur cadre décliner
un recrutement confirmé pour cause de «pressions
familiales
» ou de «contradiction
morales
». Mlle L., jeune technicienne dans un laboratoire,
avouait taire régulièrement dans quel secteur de l’agroalimentaire elle
travaillait. «J’aime ce métier, je
gagne bien ma vie. J’achète bientôt une voiture pour faciliter le trajet de
plus de 70 Km que je fais tous les jours depuis 5 ans pour arriver à mon
travail».


 

La consommation annuelle
par habitant dans notre pays est aussi un sujet délicat. Elle serait de
l’ordre de 2,2 l/habitant/an. Toute laisse à supposer que ce chiffre aurait
observé un recul de 20 à 30% mais impossible à confirmer.

 

D’autre part, la
superficie viticole se réduit de plus en plus, pour ne plus représenter que
12.500 ha produisant 420.000 hectolitres de vin annuellement. Le secteur
viticole représente plus de 30 mille emplois directs et indirects. Ses
exportations annuelles dépassent difficilement les 100 mille hectolitres
vers l’Allemagne et la France, mais aussi vers la Suisse, la Belgique,
l’Italie, le Canada, la Russie, la Malaisie…

 

A qualité confirmée,
reconnaissance acquise et visibilité en hausse ne reviendraient-ils pas des
parts de marché dans un secteur en progression ? La
consommation mondiale de vin accuse une hausse
 de 1,4% en 2006. Il se démocratise, et dans le monde, une bouteille sur
trois est bue, dans un pays autre que celui où elle a été produite.

 

La partie n’est pas gagnée pour autant.
La qualité paye et plus
que jamais cette règle se confirme. La conquête des marchés est en cours,
tant bien que mal, hélas limitée par le manque de moyens mis à la promotion,
communication et publicité face à de multinationales aux méga budgets, avec
une force de frappe incroyable et un pouvoir extrêmement puissant

 

Par ailleurs, tout le
Bassin méditerranéen subit de plein fouet une concurrence impitoyable des
vins de ce qu’on appelle souvent le Nouveau Monde : États-Unis, Australie et
surtout le Chili qui fait fureur. L’arrivée des «outsiders» dérange, dérange
même beaucoup, mais ces producteurs, en même temps qu’ils cultivent du vin,
imposent et en diffusent aussi la culture, ouvrant par là même de nouveaux
marchés.

 

Marchés lointains,
clients potentiels du Canada, d’Asie du sud-est, de Russie, les
professionnels tunisiens du secteur tissent des liens, participent en chœur
à plusieurs salons spécialisés travaillant à construire une image plus
valorisée de leurs produits.

 

Le marché chinois fait aiguiser toutes les dents et toute l’industrie du vin
regarde dans sa direction.
La spirale négative semble endiguée et la chance des vins tunisiens est de
pouvoir proposer une offre très diversifiée dans le cœur de gamme, des vins
entre 3 et 10 euros. Ces vins représentent 70 à 80% des volumes, selon les
marchés, voire 90% comme c’est le cas pour le marché chinois (+112% en
2007). C’est sur ce terrain-là
que la Tunisie veut et peut se battre et progresser sérieusement à l’export.

 

Loin de me douter que
cette enquête me mènerait au devant d’une belle aventure, c’est surtout la
rencontre avec des personnes dont le métier est la passion qui est
frappante. Le monde du vin est un monde extrêmement organisé, codifié et
malgré toute la poétique développée autour du breuvage et l’image glamour
qu’il évoque, il demeure extrêmement technique.

 

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