En 2010, le nombre d’arrivées touristiques dans la ville de Tabarka s’élevait à 143.416 ; en 2017, on est déjà à 154.721 arrivées, soit une augmentation de 7,8% par rapport à l’année de référence (2010). Ce n’est pas énorme mais cela dénote d’un redémarrage modeste d’une zone restée en berne depuis 2011 pour nombre de raisons et qui n’a pas l’atout aérien pour bien décoller.

Hichem Mehouachi, commissaire régional au tourisme de Tabarka, a, pour sa part, une foi inébranlable dans cette zone d’une beauté rarissime et qui offre la gamme de produits touristique la plus diversifiée de toute la Tunisie.

Entretien.

WMC : Quelle est la capacité d’accueil de Tabarka ?

Hichem Mehouachi : La ville de Tabarka est dotée de 21 hôtels et 5 à Aïn Draham, avec une capacité d’accueil de 6.106 lits. 8 hôtels sont fermés. Ils constituent 32% de la capacité d’accueil total. La région de Tabarka était très bien commercialisée auprès des Italiens, Français et Allemands. Mais tout d’un coup, tout a été stoppé. C’était après l’attentat de Sousse de 2015. Notre défi de 2016 était de garder le maximum d’hôtels ouverts et nous avions réussi en partie.

Pour 2017, il fallait se repositionner au niveau de l’Europe, car le marché européen est très important en matière de taux d’occupation et de nombre de nuitées. Nous estimons la situation meilleure jusqu’au mois d’août, principalement au niveau des arrivées.

Au mois de juillet 2017, nous avons enregistré plus de 61% d’augmentation du nombre d’arrivées et plus 73% de nuitées par rapport à 2016. Donc la dynamique reprend tout doucement. Ce qui nous manquait, c’est la commercialisation sur les marchés traditionnels européens, et il y a un redémarrage relatif grâce au lancement du premier vol commercial entre Paris-Tabarka-Djerba par le tour operateur Royal First Travel.

Et la compagnie battant pavillon national?

Tunisair n’a bien sûr programmé aucun vol, les seuls vols qui décollent de Tabarka sont destinés au pèlerinage. Royal First affrète l’avion chez Tunisair et gère ses vols. Chaque semaine, 50 personnes seulement arrivent sur place. C’est très peu.

Son Excellence l’ambassadeur de la République tchèque en Tunisie est venu à Tabarka, parce que le site a séduit ses compatriotes. Les professionnels tchèques ont beaucoup travaillé sur Tabarka surtout en 2010, 2011, 2012 et jusqu’en 2013.

Nous avons aussi reçu des experts en sécurité mandatés par l’ambassade des Pays-Bas, ainsi que des journalistes et des tours opérateurs russes.

Les choses ne bougent pas à un rythme effréné, mais Tabarka offre un produit très riche. En fait, il s’agit de toute cette partie du nord-ouest de la Tunisie qui comprend Ain Draham aussi.

Il y a une grande panoplie de produits touristiques dont les sports subaquatiques -et nous comptons à ce propos relancer le festival Coralis. Il y a aussi le tourisme de chasse capable de drainer un tourisme de moyenne et de haut de gamme, sans oublier le tourisme sportif très important.

Des hôtels de Ain Drahem sont pratiquement toujours au complet. Pendant la saison estivale, ils sont submergés par les équipes de Tunisie, d’Algérie, de Libye, et de quelques équipes des pays du Golfe.

Tabarka est également bien nantie grâce au complexe sportif du Groupe «La Cigale» qui est un centre unique dans la région. Il attire les grandes équipes des sports de haut de gamme.

Le tourisme culturel -et là nous parlons du Fort Génois, de Bulla Regia et de Chemtou- n’est pas en reste. Ces sites méritent plus d’intérêt de la part des autorités et qu’on débloque des fonds pour leur mise en valeur et leur exploitation pour un tourisme culturel de qualité ciblant principalement les Européens.

A Tabarka, on peut également citer le tourisme thermal. La région est dotée de 3 centres de thalassothérapie : celui de la Cigale est un centre hors normes ; celui de Hammam Bourguiba est aussi sollicité pendant la saison hivernale, ce qui en fait une unité occupée toute l’année.

Le tourisme balnéaire pourrait être développé davantage ainsi que les circuits pédestres et équestres. Tout récemment, nous avons développé un circuit que nous avons baptisé Culturas. C’est un produit créé par l’Office national du tourisme et l’Instrument européen de Voisinage et de Partenariat. Nous avons créé trois circuits pour pratiquer le cyclotourisme. Il nous revient aujourd’hui de vendre ce circuit. L’année dernière nous avons organisé la première édition avec quelques associations de VTT à laquelle ont pris part beaucoup de Français et d’Algériens, et on a été surpris par l’intérêt que portent les touristes à ce genre d’activité. On espère bien le développer pour drainer ce genre de touristes.

Et qu’en est-il de la qualité de l’environnement physique à Tabarka, qui s’est détérioré considérablement ces dernières années ? N’est-ce pas un sérieux handicap au développement du tourisme ?

Après la révolution, il y avait un budget alloué directement aux commissariats régionaux au tourisme et destiné à l’environnement. Aujourd’hui, la situation est différente, c’est plutôt le ministère de l’Environnement qui s’en charge.

Cette année, le ministère du Tourisme a consenti 90 mille dinars pour contribuer à la préservation de l’environnement à Tabarka, et 60 mille dinars à Aïn Draham, conjugués à 100 mille dinars pour Le Kef. C’est une modeste contribution de notre autorité de tutelle destinée spécifiquement à ces régions, c’est juste pour aider à mettre en valeur les circuits touristiques et améliorer l’environnement de la zone touristique.

Il y a une nette amélioration mais les points noirs persistent, dont le dépotoir qui était situé à Aïn Draham et qui a été fermé parce que les populations estiment qu’elles n’ont pas à supporter la gestion des déchets à Tabarka. C’est une situation que nous espérons provisoire. Car il est triste de trouver tout juste à l’entrée de Tabarka une décharge anarchique. Ce qui nous rassure est qu’on projette de la transférer dans un autre lieu dans l’attente de la construction d’un centre de tri régional.

Entretemps, l’image de notre zone s’en ressent. Après tout, nous vendons aussi la qualité de l’environnement à Tabarka et un écosystème qui doit être préservé.

Le niveau des prestations hôtelières dans cette zone répond-il aux attentes des clients ?

Concernant la qualité de service, sincèrement à Tabarka nous sommes de loin mieux nantis que d’autres sites. Là je signe et persiste. Nous procédons à des inspections régulières en rapport avec les règles d’hygiène, de qualité de services à proprement dire, et de sécurité.

Nous travaillons avec différentes administrations: la garde nationale, la police, la protection civile et les services d’hygiène du ministère de la Santé.

Nous recevons également des inspections qui viennent de Tunis, pour évaluer la qualité des prestations à tous les niveaux et juger du respect des normes observées à l’échelle nationale.

Depuis janvier 2017, il y a eu seulement 4 réclamations. Les clientèles que nous avons sont essentiellement tunisienne, algérienne, ensuite arrivent les autres nationalités. Le site est très apprécié, et les séjours ne dépassent pas les 2 nuitées, donc le service pour cette période limitée est apprécié.

Les unités hôtelières fermées et en état de délabrement donnent une mauvaise image de votre région. Ne le pensez-vous pas ?

Pour ce qui est des hôtels fermés, nous ne pouvons généraliser. Il faut en discuter au cas par cas. Il y en a qui sont fermés dans l’attente d’une véritable reprise du tourisme dans la région. Et c’est le cas de la chaîne Abou Nawas dont les unités sont opérationnelles et prêtes à fonctionner dès qu’on les ré-ouvre à la clientèle. Elles sont bien entretenues et bien gardées. C’était d’ailleurs le cas d’Al Mansour devenu Tabarka Magic Life et qui a redémarré de plus belle. Aujourd’hui, il cartonne.

Pour d’autres, c’est un peu plus compliqué, il y a des litiges entre associés et des affaires en justice. Nous essayons d’éviter les procès et d’organiser des tours de table entre différentes parties pour arriver à des compromis et faire redémarrer ces unités hôtelières. Nous nous y sommes consacrés pendant deux ans à l’échelle locale et régionale.

Au niveau du ministère sous l’égide de madame la ministre et du directeur général de l’Office du tourisme, et à chaque fois il n’y a pas de concessions de la part des parties concernées. Espérons que les acteurs en présence choisiront la voie de la raison, mais nous, en tant qu’autorités publiques, nous ne pouvons qu’être des facilitateurs, nous ne pouvons décider pour les concernés.

Avez-vous mis en place une stratégie pour le décollage effectif de cette région?

Absolument, ma stratégie à moi s’intègre en droite ligne dans celle du ministère. Il s’agit de développer l’écotourisme et sortir des sentiers battus et des produits touristiques classiques.

Il y a sur mon bureau une quinzaine de demandes de personnes qui veulent créer des unités d’accueil, tels les gîtes ruraux ou les maisons d’hôtes. A Tabarka, il y a une seule maison d’hôtes de 4 chambres. Elle est commercialisée à 200 dinars la nuitée en LPD, et est occupée à 100% pendant les mois de juillet et août. C’est vous dire à quel point ce produit peut être intéressant pour la région.

Grâce au festival du Jazz, cette année il y a eu une petite relance et, artistiquement parlant, c’était très réussi, les échos ont été internationaux. C’est un bon signe pour le festival de 2018 qui s’annonce grandiose surtout que nous attendons l’ouverture du théâtre de la mer, qui va contribuer considérablement à l’internationalisation du Festival de Jazz.

Je vous ai cité plus haut Coralis qui a la capacité de vendre Tabarka. Quant à la Basilique, c’est une autre affaire et elle pose un autre souci. Madame la ministre du Tourisme, Salma Elloumi, a visité la basilique, et elle a exprimé une réelle volonté de réhabiliter le site par les instances concernées dont le ministère de la Culture, et si ça se réalise, ça va redorer le blason de Tabarka. La basilique gardera son charme et pourrait accueillir de grands artistes offrant des spectacles haut de gamme. Elle a une capacité d’accueil de 800 places.

Nous pouvons, pendant le Festival de Jazz, organiser des spectacles à la Basilique et au Théâtre de la Mer. Je compte soumettre cette proposition au comité d’organisation. Le Festival de Jazz est financé exclusivement par le ministère du Tourisme sur le FODEC. Les fonds du comité d’organisation étant limités, nous devons chercher des parrains et des sponsors pour avoir un budget adéquat. 

Qu’apporte le tourisme dans une région telle que Tabarka ?

Le tourisme à Tabarka est plus qu’une économie. Il s’agit de développer l’emploi, d’assurer des entrées d’argent à la commune de Tabarka et de susciter toute une dynamique ayant trait aux produits de terroirs et aux produits artisanaux, mais il montre aussi le beau visage des Tabarkois. Ces gens qui ont gardé la tradition de l’accueil chaleureux de tous ceux qui arrivent sur place. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : il y a ceux du nombre de nuitées dans les hôtels et la seule maison d’hôte, mais aussi ceux de l’accueil par l’habitant ou des maisons louées par les particuliers. Je peux vous assurer que les chiffres officiels représentent la moitié des chiffres réels.

Avez-vous aménagé des points d’accueil dans les postes frontaliers entre la Tunisie et l’Algérie ?

Le poste frontalier de Melloula est le plus grand poste frontalier de point de vue afflux des Algériens en Tunisie. En 2016, 644 mille arrivées ont été enregistrées au niveau de ce poste frontalier. Pour nous, c’est le baromètre du flux algérien en Tunisie et sur l’année. Quand le nombre est élevé à Melloula, ça se répercute sur tout le pays. C’est un indicateur très significatif.

Jusqu’à la fin du mois de juillet de cette année, nous avons relevé plus de 73% d’entrées par rapport à l’année dernière. Nous nous attendons à ce que le nombre d’Algériens pour l’année 2017 augmente d’au moins 40% par rapport à l’année dernière. Nous avons accueilli, jusqu’au 31 juillet, plus 362 mille Algériens à Melloula et près de 67 mille à Babouch.

Nous avons installé un bureau d’accueil à Melloula qui est le poste pilote. On y trouve tout (l’information, une banque, une infirmerie, un restaurant, des buvettes, des sanitaires, la police…).

En tant que commissariat au tourisme, nous organisons à l’approche de juillet/août des campagnes de bienvenue, des cadeaux symboliques pour les Algériens, juste pour leur dire qu’ils seront toujours les bienvenus en Tunisie.

Notre ambition reste toutefois de pouvoir drainer à Tabarka le gotha de la clientèle touristique algérienne et européenne. Ce site doté de richesses naturelles inouïes, dont l’histoire remonte très loin, mérite d’être plus valorisé et mieux commercialisé. Nous sommes déterminés à y mettre les moyens.

Entretien conduit par Amel Belhadj Ali