«Il y a des choses que je regrette et je n’en parle pas. Mais ceux qui me connaissent savent de quoi je parle». Occultée par les deux passages, controversés, sur l’égalité entre homme et femme en matière d’héritage et l’abrogation de la circulaire du 5 novembre 1973 interdisant le mariage des Tunisiennes avec des non-musulmans, cette phrase du discours, prononcée le 13 août 2017, par le président Béji Caïd Essebsi, est passée inaperçue. Les rares observateurs et politiques qui l’ont repérée ont été intrigués. Et ont essayé de lui trouver une explication.

L’une d’entre elles y voit l’expression de la volonté –de plus en plus affirmée, selon certains- du chef de l’Etat de mettre fin à l’alliance conclue au lendemain des élections de 2014 avec le leader islamiste Rached Ghannouchi, et entre leurs partis respectifs, Nidaa Tounes et Ennahdha.

L’allusion du président Essebsi à ceux qui le «connaissent» et «savent» de quoi il parle jette, de fait, un nouvel éclairage sur un incident datant de quelques mois et qui a été –trop- vite oublié. Il s’agit de la fameuse déclaration de Cheikh Férid El Béji, faite début avril 2017, et dans laquelle la nouvelle «recrue» de Nidaa Tounes avait affirmé que le président de la République lui avait «fait part de son intention d’éliminer le parti Ennahdha de la scène nationale», en en adoptant «la politique des étapes», et en «utilisant la loi et la Constitution». Des propos sur lesquels le prédicateur est certes revenu rapidement, probablement sous la pression, mais que la présidence de la République n’a jamais démentis à ce jour. Ce qui donne à penser que l’intention prêtée par Férid El Béji à BCE de se désengager de l’alliance avec Ennahdha n’est pas dénuée de fondement. Ou, à tout le moins, que le fait qu’on évoque cette possibilité ne déplaît pas au locataire du Palais de Carthage qui pourrait y voire un moyen de pression sur Ennahdha, donc de négociation.

“Mais à supposer que BCE cherche vraiment le divorce avec son pire allié, peut-il se le permettre ? A-t-il les moyens d’en assumer les exigences et les implications, auxquelles le chef de l’Etat devra faire face s’il veut que son coup réussisse”

Mais à supposer que BCE cherche vraiment le divorce avec son «pire » allié, peut-il se le permettre ? A-t-il les moyens d’en assumer les exigences et les implications, auxquelles le chef de l’Etat devra faire face s’il veut que son «coup» réussisse ?

L’implication la plus importante de cet acte est qu’il va, fort logiquement, faire perdre au président de la République le soutien d’Ennahdha. Car, le cas échéant, le parti islamiste passera fort probablement dans l’opposition. De ce fait, privé des voix des 69 députés nahdhaouis, Nidaa Tounes et BCE devront trouver un appoint de 51 députés pour, avec les 58 députés du parti présidentiel, atteindre la majorité absolue de 109 voix.

“Mais en réalité, BCE n’est guère assuré de pouvoir convaincre les partis de ces députés de lui apporter leur soutien. Car le chef de l’Etat n’a plus aujourd’hui la capacité de fédérer qui était la sienne jusqu’à aux élections de 2014”

Théoriquement, cela est possible, puisque les sept groupes parlementaires restants (Al Horra Mouvement Machrou Tounes, Front populaire, Bloc démocratique, Union Patriotique Libre, Afek Tounes, Appel des Tunisiens résidents à l’étranger, Indépendants et Bloc national), dont la plupart ont en commun leur aversion envers Ennahdha, se partagent 90 sièges. Mais en réalité, BCE n’est guère assuré de pouvoir convaincre les partis de ces députés de lui apporter leur soutien. Car le chef de l’Etat n’a plus aujourd’hui la capacité de fédérer qui était la sienne jusqu’à aux élections de 2014.

Les trois erreurs du président…

En effet, en deux ans et demi, le président de la République a commis des erreurs qui ont eu pour résultat de lui faire perdre le soutien de nombreux Tunisiens qui lui avaient donné leurs voix en 2014.

La première des erreurs –du moins pour une partie des de ses électeurs- a été de s’allier au parti islamiste au lendemain des élections de 2014.

“La deuxième a consisté à privatiser Nidaa Tounes, c’est-à-dire à en faire un «bien» quasiment familial à la tête duquel il a imposé son fils Hafedh Caïd Essebsi, contre la volonté de la majorité des militants…”

La deuxième, au moins aussi grave par son impact, a consisté à «privatiser» Nidaa Tounes, c’est-à-dire à en faire un «bien» quasiment familial à la tête duquel il a imposé son fils Hafedh Caïd Essebsi, contre la volonté de la majorité des militants, cadres et dirigeants de cette formation.

“La troisième erreur a été de lancer, par le biais de son fils –dont la mission est visiblement de faire le «boulot» que le père ne peut pas/ou ne veut pas faire lui-même- une campagne de déstabilisation du chef du gouvernement, Youssef Chahed -dont la cote de popularité est montée en flèche après le lancement de la campagne de lutte contre la corruption…”

La troisième erreur et dernière a été de lancer, par le biais de son fils –dont la mission est visiblement de faire le «boulot» que le père ne peut pas/ou ne veut pas faire lui-même- une campagne de déstabilisation du chef du gouvernement, Youssef Chahed -dont la cote de popularité est montée en flèche après le lancement de la campagne de lutte contre la corruption- en prélude, comme ce fut le cas avec Habib Essid, à son -probable- limogeage.

Toutes ces erreurs sont autant d’obstacles à une «recomposition» de la famille «démocratique» autour de BCE.