Un regard d’ensemble sur les réformes initiées en faveur de l’émancipation de la femme, depuis l’accès du pays à l’indépendance, montre que les pouvoirs laïcs ont bien servi la cause féminine et l’ont dotée des lois requises devant la protéger face aux assauts hégémoniques de l’homme. Néanmoins, la condition féminine demeure fragile et les textes restent insuffisants en raison de la menace constante des conservateurs nostalgiques des périodes moyenâgeuses. La femme tunisienne a failli payer le prix lorsque l’Islam politique, représenté par le parti Ennahdha et dérivés, avait accédé au pouvoir en 2011.

Pleins feux sur cette saga de réformes et résistances, à l’occasion de la célébration du 61ème anniversaire du Code du statut personnel (CSP).

La première réforme à l’actif des laïcs datent de 1957. Le leader Bourguiba avait promulgué un texte révolutionnaire, en l’occurrence le Code du statut personnel (CSP).

Bourguiba le pionnier

Ce texte consiste “en une série de lois progressistes, promulguées le 13 août 1956 par décret beylical puis entrées en vigueur le 1er janvier 1957, visant à l’instauration de l’égalité entre l’homme et la femme dans nombre de domaines. Le CSP est l’un des actes les plus connus du Premier ministre et futur président Habib Bourguiba près de cinq mois après l’indépendance du pays.

Il donne à la femme une place inédite dans la société tunisienne et dans le monde arabe en général.

Concrètement, ce texte abolit notamment la polygamie, crée une procédure judiciaire pour le divorce et n’autorise le mariage que sous consentement mutuel des deux futurs époux.

Ben Ali renforce le CSP

Lui succédant, Zine El Abidine Ben Ali renforce le CSP. Plusieurs textes méritent d’être retenus.

La loi du 12 juillet 1993 institue le partage de l’autorité entre les deux époux au lieu de l’autorité exclusive du père. Elle donne le droit à la femme de transmettre son patronyme et sa nationalité à ses enfants au même titre que son époux —même si elle est mariée à un étranger— à la seule condition que le père donne son approbation.

A la faveur de cette loi, la femme acquiert le droit de représenter ses enfants dans quelques actes juridiques, d’ouvrir et de gérer un livret de caisse d’épargne pour leur bénéfice.

D’autres mesures consacrent la participation de la mère à la gestion des affaires touchant les enfants et le consentement obligatoire de la mère pour le mariage de son enfant mineur.

Plus tard, une seconde série de dispositions renforce la protection de la femme face à l’homme en réprimant plus rigoureusement les violences conjugales et en instituant le versement de pensions alimentaires tout en accentuant la répression des maris divorcés qui ne respectent pas cette obligation.

Dans le cadre professionnel, un nouvel article du Code du travail ajouté par la loi du 5 juillet 1993 réaffirme qu’«il ne peut être fait de discrimination entre l’homme et la femme dans l’application des dispositions du […] code».

En 1995, d’autres innovations législatives sont votées en matière de répartition des biens au sein du couple, reconnaissant le fait que la constitution des biens est le fait des deux conjoints et, qu’en cas de divorce, la femme ne saurait être lésée dans la répartition du patrimoine commun.

En 2007, Ben Ali promulgue deux textes. Le premier renforce le droit au logement au bénéfice de la mère ayant la garde des enfants, et le second unifie l’âge minimum au mariage à 18 ans pour les deux sexes.

Chahed interdit les violences faites aux femmes

Avec la deuxième République issue du soulèvement du 14 janvier 2011 et des élections libres de 2014, le gouvernement de Youssef Chahed a fait adopter, le 26 juillet 2017, un texte encore plus révolutionnaire, une loi «historique et pionnière» contre les violences faites aux femmes.

Cette loi renforce la protection des femmes victimes de violences et abolit certaines dispositions rétrogrades.

Parmi les modifications qu’elle introduit, l’amendement de l’article 227 bis du Code pénal avec la suppression de la disposition qui prévoit l’abandon des poursuites contre l’auteur d’un acte sexuel «sans violences» avec une mineure de moins de 15 ans s’il se marie avec sa victime. En effet, dans son ancienne version, l’article prévoyait une possibilité pour le violeur d’échapper à une peine de prison s’il épousait sa victime.

La nouvelle loi interdit d’employer des mineures en tant qu’aide-ménagères. Toute infraction à cette loi sera dorénavant sanctionnée de 3 à 6 mois de prison.

Autre nouveauté majeure: l’âge de la maturité sexuelle a été pour sa part élevé à 16 ans au lieu de 13 ans auparavant.

En somme, par-delà ces réformes progressistes même s’il y a des choses à faire évoluer encore, s’agissant notamment de l’héritage, les femmes tunisiennes sont en droit, certes, de célébrer le 61ème anniversaire du CSP avec allégresse, mais avec la frustration de savoir que des centaines de milliers d’entre elles ne sont pas conscientes de ces acquis. Cela pour dire que rien n’est acquis et que le processus d’émancipation de la femme doit être un combat au quotidien.

La philosophe et romancière française Simone de Beauvoir avait tout à fait raison quand elle a dit à l’adresse des femmes: «N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devez rester vigilantes votre vie durant».

Et pour cause ? Les conservateurs battus démocratiquement qui ont décidé (suite à l’adoption de la loi sur l’interdiction des violences faites aux femmes) de constituer une association de lutte contre les violences faites aux hommes -bien aux hommes- sont toujours à l’affût.