Sans abonder dans le catastrophisme ambiant que beaucoup de Tunisiens ressentent, la situation de la Tunisie post-révolution interpelle et inquiète tant les non-dits sont légion sur les causes de cette crise profonde qui secoue le pays des agrumes, du phosphate et des 300 jours d’ensoleillement

Et n’en déplaise aux irréductibles optimistes, aux «révolutionnistes» qui se complaisent à partager la misère, et aux démocrates vertueux jonchés dans leur tour d’ivoire, ce sont les turbulences politiques, l’opacité, le corporatisme égoïste, le syndicalisme sauvage et les manœuvres tacticiennes de certains partis politiques qui ont enfoncé la Tunisie dans cette crise aux conséquences désastreuses.

Si en politique les beaux discours ameutent l’assistance, en économie chaque parole vaut son pesant d’or, et sans faire offense à l’intelligence et à l’intégrité de notre ministre des Finances, Fadhel Abdelkefi, son discours devant l’ARP n’a ému que par sa sincérité et son patriotisme, car techniquement sa méthodologie était approximative.

Fils d’un grand bâtisseur et d’un précurseur de la finance en Tunisie, Sid Ahmed Abdelkefi, Fadhel est certes un illuminé, avant-gardiste, intègre, au-dessus de tout soupçon et résolument tourné vers l’entrepreneuriat, mais il a péché par la platitude de son analyse et surtout par son ignorance de la force du net. Son discours alarmiste à l’Assemblée sur la situation économique était d’une grande violence, et même s’il est empreint de vérité, il choque quand on le confronte à ses propres déclarations euphoriques datant de 2 mois sur l’embellie de la situation économique de la Tunisie qui remonte la pente.

Un petit passage par Youtube et nous avons la preuve d’un ministre piégé par la gravité de la situation et par la difficulté de sortir ce pays de sa léthargie et de son marasme. Ses discours élogieux du sommet 2020, son émerveillement pour le tourisme tunisien -qui retrouve ses couleurs- et son extase devant les indicateurs économiques qui clignotent au vert n’avaient de sens qu’avec une Tunisie qui se remet au travail, des Tunisiens volontaires et surtout des hommes et des femmes d’Etat patriotes et non des politiciens manœuvriers er carriéristes.

Nous sommes en pleine catastrophe

La catastrophe? Nous y sommes, et si certains prédisent le scénario grec, force est de constater que notre crise est plus proche de la débâcle argentine car contrairement à la Grèce qui consomme euro, qui importe en euro, qui rembourse en euro et qui emprunte en euro, la Tunisie consomme en dinar, importe en devises et rembourse en devises. Et si en Grèce la solution était la réduction des salaires et des pensions de retraites accompagnée d’une aide de l’Union européenne de 540 milliards d’euros, en Tunisie en 2017, nos autorités financières ont opté pour la dévaluation de la monnaie locale avec des mécanismes financiers occultes et dévastateurs comme ce fut le cas en Argentine en 1998 et en 2002 avec une crise sociale et politique sans précédent.

En bon soldat du FMI, l’Argentine a payé cher l’interventionnisme de l’instance mondiale et le «Currency Board» imposé par le ministre des Finances de l’époque, Domingo Cavallo, qui consistait à l’alignement et la parité peso/dollar ce qui a eu l’effet boomerang avec un accroissement des investissements extérieurs mais aussi une inflation record qui a atteint 1.300% avec ses conséquences désastreuses sur l’appauvrissement de la population.

Et pour enfoncer le clou, la crise argentine s’est amplifiée en 2001 par une autre mesure décrétée par le même Cavallo qui a mis en place le «Corralito», limitant ainsi les retraits bancaires à seulement 250 pesos par semaine, ce qui a conduit à l’explosion d’un système bancaire parallèle et à une perte de confiance dans les institutions de l’Etat.

La Tunisie peut-elle éviter le scénario argentin ?

Et sans faire offense à l’apport du FMI dont je soutiens certaines mesures, force est de constater que toutes ses recommandations ne sont pas toujours bonnes à prendre, et il est de notre devoir d’affirmer que le destin d’une économie, avec ses spécificités et ses particularités locales, sociales et politiques tunisiennes, ne peut pas se dessiner dans les bureaux feutrés du gendarme de la finance mondiale.

Le danger nous guette et sans une refonte totale et structurelle de notre économie, c’est le scénario argentin qui se profile avec ses conséquences sur la stabilité sociale et une instabilité politique avérée.

La Tunisie peut-elle se ressaisir? Oui, oui et oui, mais il faut de la transparence, de la franchise et surtout du courage, car aux grands maux, il y a les grands remèdes, et comme je l’ai suggéré dans mon livre «I have a Dream», les solutions pour une sortie de crise sont en nous. Remettons-nous juste au travail et transformons notre Tunisie en Eldorado:

  • en encourageant le départ à la retraite dès l’âge de 52 ans,
  • en gelant les salaires et les prix de produits de base pendant 3 ans,
  • en capitalisant sur notre soleil pour créer de l’énergie renouvelable,
  • en puisant dans notre Méditerranée pour créer des parcs de dessalement d’eau pour alimenter les réservoirs naturels et garantir de l’eau aux générations futures,
  • en misant sur notre intelligence pour faire de la recherche scientifique un moteur de développement,
  • en faisant de l’agriculture et des industries annexes la base de notre économie.

Engloutie dans la spirale de la récession avec tous ses risques, la Tunisie est réduite à choisir entre la peste et le choléra. Soit le scénario grec -et c’est tout le mal qu’on souhaite avec un Etat en faillite mais une communauté européenne qui vient au secours en injectant 540 milliards d’euros-, soit un scénario argentin -et c’est le plus probable avec la perte de confiance dans les institutions de l’Etat, l’éclosion d’un système bancaire parallèle, une paupérisation aggravée de la population et une recrudescence des tensions sociales.

Les turbulences politiques et les manœuvres tacticiennes hypothèquent la croissance dont a besoin la Tunisie pour créer des emplois, rembourser ses dettes, apaiser l’atmosphère sociale et retrouver sa crédibilité internationale.

Imed Derouiche