La Tunisie vue par les étudiants subsahariens!

Par : Autres

En prévision de la tenue de la 1ère édition du “Tunisian African Empowerment Forum” (les 22 et 23 août 2017 au palais des congrès de Tunis), une initiative de TABC, le site web Espace Manager a interviewé le président en exercice de l’AESAT (Association des étudiants et stagiaires africains en Tunisie), Mack Arthur Deongane Yopasho.

Dans cet entretien, très instructif pour les décideurs tunisiens, M. Yopasho soulève beaucoup de questions sur les conditions de séjour des étudiants subsahariens en Tunisie: baisse du nombre d’étudiants, multiples agressions à leur égard, racisme, difficulté d’obtention de la carte de séjour, impossibilité d’accès au marché de travail… 

Interrogé sur l’engouement des étudiants d’Afrique subsaharienne pour venir faire leurs études en Tunisie, Mack Arthur Deongane Yopasho a répondu que c’est surtout dans le cadre de la coopération bilatérale entre la Tunisie et les pays africains, ce qui se fait à travers un quota bien déterminé par pays. “Or tout le monde ne peut pas bénéficier de ces bourses de coopération, ce qui pousse les parents à inscrire leurs enfants dans les universités privées pour la majorité”. Et d’ajouter: “… les infrastructures et la qualité également de l’enseignement expliquent cet engouement. Aujourd’hui, nous sommes environ 4.500 étudiants et stagiaires repartis entre plus de 25 nationalités affiliées à l’AESAT”.

Ceci dit, M. Yopasho explique que ce chiffre est très inférieur à ce qu’il était en 2010, c’est-à-dire 12.000. Selon lui, “certains étudiants et stagiaires ont choisi le Maroc comme nouvelle destination d’études, parce que la durée de la carte de séjour minimum est de 2 ans alors qu’en Tunisie avoir la carte de séjour est similaire à une demande de visa pour la France. Suite à cette politique mise en place par le Maroc, ce dernier a vu le nombre de ses étudiants en hausse”.

Ainsi, concernant ce désintérêt pour la Tunisie qui s’expliquerait par le calvaire que vivent les étudiants subsahariens -ces derniers étant confrontés à des difficultés de toutes sortes (problème de carte séjour, pénalités, arnaques, expulsions arbitraires…)-, le président de l’AESAT affirme que “… tout le monde sait que le cauchemar des étudiants et stagiaires est le problème de la carte de séjour. Il existe un flou juridique énorme, puisque la loi qui régit la condition de séjour est celle de 1968 qui n’a pas du tout été amendée pour être adaptée à la réalité d’aujourd’hui (un anachronisme)”.

Et Mack Arthur Deongane Yopasho de poursuivre: “conséquence: arnaque dans les postes de police: dans certains commissariats bien connus de la capitale, on exige des étudiants et stagiaires des sommes exorbitantes en guise de pénalités. Ajouté à ce grand chapitre de la CARTE DE SEJOUR, l’irresponsabilité des bailleurs qui refusent parfois de délivrer le contrat de bail, la lourdeur et la lenteur administrative, le long silence des autorités compétentes (police des frontières du 18 janvier) face au refus des dossiers dont les concernés ne sont même pas informés. Tous ces problèmes (un véritable cercle vicieux) font que l’étudiant ou le stagiaire tombe dans les pénalités et est exposé à un rapatriement suite à un contrôle de la police”.

Mais ce n’est pas le seul problème de l’étudiant ou stagiaire subsaharien en Tunisie, il y a également le phénomène du racisme.

M. Yopasho explique bien les choses. Il rappelle que “le racisme est d’abord universel, ensuite même entre Tunisiens ce phénomène existe avant d’arriver sur les étudiants et stagiaires de couleur”. Toutefois, en Tunisie “c’est un sujet tabou qu’il faut aborder en profondeur pour que les mentalités tunisiennes puissent changer. Souvent les étudiants souffrent dans certains quartiers où ils sont exposés à toutes sortes d’injures ou dans les transports en commun”.

Mais ce qui inquiète le plus, c’est l’apparition d’un phénomène nouveau, en l’occurrence “l’agression physique” voire parfois “sexuelle”, explique-t-il. “Depuis l’agression de trois étudiants congolais (RDC) le 24 décembre 2016, l’AESAT ne cesse d’enregistrer ces cas jusqu’à l’heure où je vous parle -une fille Congolaise parmi 4 autres vient d’être violemment agressée et qui a eu une double fracture au niveau de son bras par un groupe de dix Tunisiens. Et parallèlement, un ancien président de l’AESAT vient lui aussi d’être poignardé par un adolescent devant une boutique. C’est pour dire que l’insécurité devient grandissante pour les étudiants et stagiaires noirs en Tunisie et il faut que l’Etat puisse prendre cela en considération”.

Compte tenu de toutes ces difficultés auxquelles sont confrontés les ressortissants subsahariens, les autorités semblent, enfin, bouger. C’est dans ce cadre que le président de l’AESAT a récemment été reçu par le ministre chargé des Relations avec les instances constitutionnelles et la société civile (Moez Ben Gharbia, NDLR) sous l’initiative de notre partenaire TABC.

“Nous attendons clairement une décision annulant les pénalités pour les étudiants, stagiaires et ceux qui ne le sont pas dans un premier temps (il faut remettre le compteur à zéro pour une bonne base), ensuite revoir à la baisse les frais de quittance (timbre fiscal qui passe subitement de 75 à 300 dinars aujourd’hui) et des pénalités (20 dinars la semaine et 80 dinars le mois)”, souhaite M. Yopasho.

Il ajoute: “Il faut aussi délivrer les cartes de séjour pour deux ans et accélérer la procédure de délivrance à l’intéressé (e); assurer une couverture sociale pour tous les étudiants et stagiaires dans les facultés privées; adopter la Loi contre la discrimination raciale comme promis par le chef du gouvernement… Nous souhaitons que nos doléances soient prises en considération car il y va dans l’intérêt de la Tunisie de redorer son image et son positionnement en tant que pole de l’enseignement supérieur en Afrique et je crois personnellement à la volonté du ministre ainsi que de nos partenaires dont TABC et tous ceux qui sont conscients que les étudiants d’aujourd’hui seront les futurs ambassadeurs de la Tunisie dans leurs Pays respectifs”.

Et au chapitre des doléances, les étudiants africains souhaitent “aussi de la flexibilité sur le marché de l’emploi. La Tunisie peut bénéficier de la compétence des étudiants et stagiaires formés par elle”.

Enfin, à propos de l’organisation par Tunisia-Africa Business Council (TABC) la 1ère édition du “Tunisian African Empowerment Forum”, les 22 et 23 août 2017 à Tunis, dans l’objectif de relancer la Tunisie en tant que destination de choix en s’attaquant à la racine du mal afin de trouver de meilleures solutions au retour de ces étudiants, le président de l’AESAT estime que “… c’est une très belle initiative à féliciter, saluer et à encourager puisque l’un des objectifs de ce forum est d’apporter une solution aux problèmes rencontrés par les étudiants dont principalement les cartes de séjour et pénalités, la condition sine qua non pour retrouver le nombre d’étudiants perdu et pourquoi pas faire plus”.

Il pense que “TABC peut relever ce défi, ce que nous attendons de ce forum c’est son succès conditionné par un réel changement de condition de séjour des étudiants et stagiaires africains vivant dans ce beau pays. C’est juste une volonté politique pour atteindre cet objectif. Nous voulons vraiment que la rentrée prochaine soit dans les meilleures conditions, avec les grandes décisions qui seront prises…”

Et de conclure: “… si la situation ne change pas maintenant, le nombre va continuer à baisser et ce sera un vrai danger pour la Tunisie dans les années à venir. Donc nous comptons sur les autorités pour vraiment réagir vite afin d’y remédier”.