Tunisie-Réformes : Nos gouvernants, des procrastinateurs nés

Lorsque j’étais écolier, ma mère, montagnarde analphabète de Kroumirie, aimait me répéter en substance, chaque jour, ce proverbe “ne remets pas au lendemain ce que tu peux faire le jour même”.

Et ma mère de m’expliquer cette règle de conduite: “tout simplement les études n’attendent pas. Il faut les faire vite et bien. Si tu n’appliques pas cette règle de conduite, tu seras atteint par la pathologie de procrastination“, tendance maladive consistant à remettre systématiquement les choses au lendemain avec comme pour corollaires l’incapacité d’agir, la dépression, le chômage, etc.

Depuis, j’ai compris le bien-fondé de ce dicton et je l’ai transmis, à mon tour, à mes proches, enfants, neveux et autres collègues. Le résultat est extraordinaire: aujourd’hui, tout le monde se porte bien et mène une vie décente.

Tendance maladive à reporter les réformes

Ce proverbe m’est revenu à l’esprit parce que j’ai constaté que si, au plan des individualités, cas de ma mère ici, des Tunisiens démunis sont parvenus à sortir, des générations entières, de la précarité et de l’indigence, au plan macroéconomique et politique, les choses vont toujours mal, et même très mal.

C’est que depuis l’accès à l’indépendance jusqu’à ce jour, les  gouvernants de la Tunisie ont cultivé l’art de s’inscrire en faux contre cette façon d’agir érigée dans les pays développés en mode comportemental stratégique.

Plus simplement, nos gouvernants, qui se sont relayés à la tête de ce pays, ont été des “procrastinateurs”. Ils n’ont jamais osé initier les réformes dans les temps. Ils n’ont jamais essayé de résoudre les problèmes, en temps opportun. Ils n’ont fait que les reporter aux calendes grecques.

C’est ce qui explique la complexité de la situation qui prévaut actuellement dans le pays et les problèmes multiformes dans lesquels il se débat.

La procrastination est génétique

Pis, il semble que ce penchant à remettre à plus tard la solution des problèmes soit génétique. Car, si nous pouvons admettre que cette procrastination est compréhensible au temps des régimes autoritaires de Bourguiba et de Ben Ali dont le souci majeur était de perdurer, par l’effet du statu quo, nous ne pouvons pas le comprendre après le soulèvement du 14 janvier 2011.

L’immobilisme et l’inaction sont toujours en vigueur. Aucune réforme sérieuse et profonde n’a été entreprise, depuis six ans de transition par huit chefs de gouvernement et deux présidents qui se sont succédé à la tête du pays.

La réforme de l’éducation, la principale réforme stratégique, a été bloquée par des syndicats moyenâgeux et rentiers; la réforme fiscale est toujours dans les tiroirs poussiéreux du ministère des Finances; la réforme des circuits du commerce à l’origine de la cherté de la vie est toujours un vœu pieux; le pouvoir local et régional n’est toujours pas institué; la Cour constitutionnelle tarde à voir le jour; la réforme de l’agriculture est toujours un idéal; la réforme de l’administration est toujours éventuelle; tout autant que celles des caisses sociales, de la compensation, des banques publiques…

Mention spéciale pour certains problèmes qui auraient pu être résolus il y a au moins deux à trois décennies. C’est le cas de l’endettement des hôteliers qui a atteint, de nos jours, des seuils faramineux (4 milliards de dinars) à cause du report des solutions et la problématique de la Banque franco-tunisienne (BFT) qui pourrait coûter cher à la Tunisie (2 milliards de dinars selon certains experts) si jamais l’arbitrage international prononce un verdict favorable aux actionnaires plaignants.

Signe d’irresponsabilité

La question qui se pose dès lors et qui mérite d’être posée aux spécialistes est celle-ci: “d’où vient cette tentation léthargique, ce penchant pour l’inaction, voire pour cette torpeur, pour cette apathie…”.

Pour la psychologue française Catherine Brabant, les gens atteints du syndrome de la procrastination évoluent dans un milieu confortable et sécurisé et ont tendance à y perdurer “et qu’ils ont du mal à s’en sortir”. Et La psychologue d’ajouter: “Le danger est alors de stagner dans cette «zone de confort… cette attente-stagnation peut illustrer une sorte de fuite en avant, le début de l’irresponsabilité».

Décryptage: en Tunisie, l’irresponsabilité et l’impunité sont totales. Elles sont même érigées en système de gouvernance.