Après le recours en catimini à la planche à billets pour financer les déficits budgétaire et courant, le pouvoir en place, à défaut de crédibilité et de dissuasion, recourt au maquillage des chiffres et exploite l’inculture économique et financière de certains tunisiens en leur faisant croire que des progrès seraient en train d’être accomplis sur la voie de la reprise de la croissance. Des analystes avertis ont remis en cause plusieurs données, statistiques et chiffres évoqués par des officiels à tous les niveaux. 

Le chiffre le plus récent et le plus contesté est celui annoncé par le chef des statistiques, le “très sérieux Institut national de la statistique”, en l’occurrence un taux de croissance de 2,1% au premier trimestre de l’année. Ce taux a eu pour corollaire, selon le super ministre du Développement, de l’Investissement et de la Coopération internationale et des Finances, Fadhel Abdelkefi, la création de 15.000 emplois. Cette croissance proviendrait de l’agriculture, du tourisme et des phosphates, croissance dont les résultats sont encore prévisionnels, et donc non encore tangibles.

Le taux réel pour le premier trimestre 2017 serait de 0,9%

Réagissant à ce taux, l’analyste frondeur Mourad Hattab qui était invité, lundi 15 mai, par la chaîne de télévision privée Attessa, a exprimé son étonnement et sa grande surprise de voir l’économie du pays réaliser une telle performance au cours de cette période, alors que les trois moteurs de la croissance sont à l’arrêt: la consommation plombée avec un taux d’inflation de plus de 5%, l’investissement qui est toujours en panne en raison des insurrections sociales non encadrées et les exportations qui n’arrivent pas à reprendre. “Il s’agit selon lui d’un cas d’école qu’il faudrait enseigner dorénavant aux étudiants du monde entier”, a-t-il-dit.

Plus pointilleux et technique, l’économiste Ezzeddine Saïdane estime en substance, sur sa page Facebook, qu’il n’y pas de quoi pavoiser. Il pense que “ce chiffre est provisoire et en glissement annuel, ce qui signifie que cette croissance enregistrée entre le début du deuxième trimestre 2016 et la fin du premier trimestre 2017 (donc sur une période de 12 mois) a été de 2,1%. Il ne s’agit donc pas (comme on veut bien le faire croire) de la croissance enregistrée sur le premier trimestre 2017”.

Il ajoute que «la croissance enregistrée sur le premier trimestre 2017 (par rapport à la situation à fin 2016) a été de 0,9%. Et cette croissance ne permet pas (comme on veut bien le faire croire encore allusion au ministre) de créer 15.000 emplois».

Cette croissance, souligne Saïdane, demeure fragile puisque le secteur des industries manufacturières enregistre une croissance négative de 1,1%. La croissance provient donc de l’agriculture, du tourisme et des phosphates.

En ce qui concerne les phosphates, il est vrai que la production augmente, mais les stocks augmentent aussi à cause des difficultés d’écoulement de cette production. La Tunisie a en effet perdu une part de ses marchés et de ses clients. Il faut signaler que dans le secteur des phosphates, la productivité baisse sensiblement, et semble-t-il durablement, relève Ezzedine Saïdane.

Les textiliens tunisiens exportateurs vers l’Europe n’importent pas leurs tissus de Turquie

Autre mensonge à l’actif du ministre de l’Industrie et du Commerce qui a tenu, lundi 15 mai, une conférence de presse et fait le tour des plateaux de télévision pour annoncer à gorge déployée un recul de 19% du déficit commercial qui ne serait pas, selon l’expert Mourad Hattab, de l’ordre de 12 milliards de dinars comme le prétend le ministre mais de 20 milliards de dinars, ce qui est énorme.

Interpellé sur l’impact négatif de la convention de libre-échange avec la Turquie sur d’importants pans de l’économie du pays, le ministre a lâché une autre fausse information. Il a prétendu que le marché turc permet, entre autres, aux textiliens tunisiens exportateurs d’y acheter de la matière première (tissus) à des prix compétitifs pour la confectionner et l’exporter ensuite sur le marché européen.

L’explication est fournie par “un arbitre international”, Jean-François Limantour, expert en stratégie de développement international pour les industries du textile et de la mode. Ce dernier estime que les textiliens tunisiens souffrent de la concurrence “déloyale” de “la plupart des concurrents directs de la Tunisie. Selon lui, «ces derniers bénéficient de régimes douaniers plus avantageux avec l’Union européenne. C’est notamment le cas du Bangladesh et du Cambodge qui sont maintenant devant la Tunisie comme fournisseurs de l’Europe grâce à un régime nommé “Tout Sauf les Armes“ leur permettant d’exporter à droits nuls vers l’UE les vêtements qu’ils fabriquent, quelle que soit l’origine des tissus utilisés. A l’inverse, la Tunisie doit utiliser des tissus de l’espace euro-méditerranéen, en moyenne deux fois plus chers, pour bénéficier des droits nuls».

Cette problématique a été évoquée le 11 mai 2017 à Bruxelles, lors de la 13ème session du Conseil d’Association entre l’Union européenne et la Tunisie. Mais rien n’a encore été décidé en faveur des textiliens tunisiens. En clair, nos textiliens continuent à acheter leurs tissus en Europe.

Moralité: le ministre nahdhaoui, Zied Laadhari, acharné à défendre, bec et ongles, les intérêts du Sultan Erdogan, ne semble pas maîtriser son sujet et se soucier des intérêts de la Tunisie.

Son porteur d’encensoir, le directeur général du commerce extérieur, Khaled Ben Abdallah, tient également le même langage. Interpellé par l’Agence Tap, sur l’impératif pour la Tunisie de recourir à l’application des clauses de sauvegarde prévues dans les accords de libre-échange bilatéraux, régionaux et multilatéraux, ce qui permettrait d’alléger la forte pression sur la balance de paiement, il a fait savoir que «ce mécanisme est “lourd” car il touche la crédibilité et l’image du pays qui sera perçu comme protectionniste». Et alors. Les Etats-Unis ne se gênent pas, de nos jours, d’être taxés de pays protectionniste.

La solution réside dans le contrôle technique des produits importés

Pour Mourad Hattab, les solutions aux problèmes générés par la convention de libre-échange avec la Turquie résident dans sa résiliation pure et simple, d’autant plus que le partenaire turc n’a pas honoré ses engagements en s’abstenant d’accompagner ses échanges commerciaux en Tunisie avec des investissements conséquents.

Pour les importations provenant d’autres pays, comme la Chine, l’expert estime qu’il suffit de soumettre ses importations au contrôle technique et à leur conformité aux normes de qualité tunisienne.

Il a déploré, à ce propos, l’incohérence du ministère du Commerce qui, d’un côté à la veille des fêtes religieuses, mène une campagne pour sensibiliser les Tunisiens aux divers dangers sur la santé que présentent les produits et jouets chinois importés, et de l’autre, tolère leur importation sans aucun contrôle.

Par delà les points de vue des uns et des autres, cette tendance du gouvernement à recourir à des informations parfois douteuses est très dangereuse et rappelle certaines techniques du passé.