«Il faut que ça change ! Des enseignants et des chercheurs tunisiens sont partis travailler dans les pays du Golfe ou ailleurs. Plusieurs départs ont été faits par l’intermédiaire de l’Agence tunisienne de coopération de technique (ATCT). Il est légitime de chercher un certain confort matériel, mais l’appauvrissement de l’Université tunisienne de ses meilleurs éléments doit cesser ou du moins doit être revu pour mieux protéger ses intérêts. Des enseignants partis depuis plus de 10 ans et qui n’ont jamais démissionné de leur poste universitaire tunisien et dont certains sont même partis avec les clés de leur bureau!».

C’est en substance le statut d’Ali Gannoun, un éminent universitaire à l’Institut de mathématiques et de modélisation de Montpellier.

Les chiffres le confirment : 800 chercheurs tunisiens se sont installés ces trois dernières années dans les pays du Golfe. Les contribuables ont payé pour la formation de chercheurs desquels profitent des pays riches et bien nantis alors que la Tunisie s’appauvrit en cerveaux.

En réalité, M. Gannoun a parlé d’un petit problème parmi beaucoup d’autres dont souffre l’enseignement supérieur dans notre pays, d’où la nécessité d’une réforme approfondie du secteur. Une réforme engagée aujourd’hui toutes voiles dehors par Slim Khalbous, ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique dont la tâche est des plus ardues: redorer le blason des universités tunisiennes terni par des années de mauvais choix.

Entretien 

Monsieur le ministre, je ne peux démarrer cet entretien sans revenir à l’affaire de la thèse de doctorat dirigée par un universitaire à Sfax et où on a accepté que l’on remette en cause des réalités scientifiques avérées. Pareil scénario pourrait-il se reproduire? Je voudrais également évoquer à nouveau le cas de feu Mohamed Zouari lequel, paraît-il, aurait été enseignant à l’Université de Sfax? Le but de la manœuvre étant de partir par des exemples concrets qui ont eu un grand impact médiatique.

Slim Khalbous: L’affaire de feu Mohamed Zouari n’est plus d’actualité, je pense, mais je vais profiter de votre question pour lever le voile sur cette histoire. C’est quelqu’un qui n’a jamais été enseignant à l’université de Sfax, il n’y a donné aucun cours, même pas en vacataire. Après vérification, il s’est avéré que toutes les activités de recherche citées dans les médias, par ses proches ou par les journalistes et les réseaux sociaux, sont des activités d’ordre privé exercées dans le cadre d’un club privé qui n’avait aucun lien avec l’université de Sfax. Le seul lien qui liait le défunt à l’université de Sfax était son inscription en tant que doctorant depuis juste deux ans.

Il n’a jamais enseigné, il n’a aucune activité universitaire aussi bien rémunérée que non rémunérée. Il était seulement inscrit en deuxième année de thèse, et son activité concernait seulement un club même pas une association.

Revenons maintenant au doctorat proposé par une doctorante à Sfax et qui a fait couler beaucoup d’encre. Il faut comprendre comment les choses fonctionnent.

Il y a tout d’abord le ministère, autorité de tutelle. Il y a également les instances de recherches, qui sont l’école doctorale et les commissions de thèses soumises à des procédures nationales et à une charte éthique.

Il y a tout ce qu’il faut sur le plan légal et procédural pour que des travaux qui ne sont pas scientifiques ou qui n’ont pas atteint le niveau requis ne soient pas admis. Et il revient aux instances de recherche d’en décider. Notre rôle en tant que ministère est de veiller au respect des règles de loi et aux procédures administratives. Nous n’intervenons pas dans le contenu parce que cette composante relève de la liberté académique et scientifique.

Pour revenir à la question concernant la thèse, je dois dire que cette année est particulière. Le conseil des universités avait donné pour date limite le mois de décembre dernier (2016, NDLR) pour l’adoption finale des doctorats parce qu’on devait en purger toutes les thèses soumises à l’ancien régime et la thèse que vous avez citée plus haut en faisait partie.

Aujourd’hui, fort heureusement, les thèses sont soumises au régime doctoral LMD. Dans ce régime, on ne peut s’aventurer sur un terrain aussi sinueux que les vérités scientifiques avérées sans garde-fous. Dans l’ancien régime, il n’y avait pas de cours doctoraux, dans le nouveau régime LMD, pendant les premières années de thèse, les cours sont obligatoires. Parmi ces cours, nous pouvons citer les cours d’éthique, de méthodologie, de suivi de séminaire et de recherche d’encadrement. Le chercheur n’est plus dans une logique de tête à tête unique avec son directeur de recherche, mais il a un collège d’enseignants chercheurs qui le suivent.

Une autre nouveauté très importante dans le doctorat LMD, nous avons introduit ce qu’on appelle la commission de thèse de suivi. Tout au long des trois années de thèse, il y a la commission de thèses individuelles.

Je m’explique: chaque candidat doit passer devant une commission de thèse qui doit approuver sa démarche pour pouvoir passer à l’année d’après. Dans cette commission, il y a le directeur de thèse et deux autres enseignants chercheurs.

Le doctorant doit, par conséquent, parler de l’état d’avancement de la thèse. Il ne peut pas changer son sujet de thèse à sa guise ou divaguer comme bon lui semble.

Dans l’ancien régime, il n’y avait que le directeur de thèse pour maître à bord et donc il peut ne pas être aussi rigoureux que l’exige l’esprit scientifique. C’est pour cela que nous avons besoin de réformes et de garde-fous pour veiller au sérieux et à la qualité du travail scientifique.

En tant que ministère de tutelle, nous nous engageons à assurer la bonne application du nouveau système LMD partout et dans toutes les universités. Nous voyons bien aujourd’hui qu’il y a des cas de doctorat un peu bâclés. La raison en est bien entendu le changement du régime et le fait que quelques-uns veulent absolument présenter leurs thèses immédiatement de peur de perdre leur inscription en thèse, les thèses de l’ancien régime n’étant plus reconnues.

Nous avons, pour notre part, demandé aux écoles doctorales, aux commissions doctorales et aux commissions de thèses d’être très attentives pour ne pas approuver des thèses qui ne répondent pas au niveau requis de point de vue qualité de la recherche et des travaux. Il vaut mieux avoir un nombre plus réduit de thèses qui soient consistantes et d’un haut niveau qu’admettre des thèses pour des raisons sociales ou autres. Ces temps sont révolus. Nous voulons que nos élites soient réellement brillantes et compétentes. Il ne s’agit pas d’être bardé de diplôme alors que la qualité n’y est pas.

Est-ce que le ministère a lancé un plan pour repositionner l’université tunisienne et surtout publique au niveau régional et international où nous ne sommes presque plus classés?

En fait, il y a une petite évolution. Nous avons deux universités classées dans les mille premières universités au monde. Ce sont celles d’Al Manar et de Sfax. Nous sommes casés dans les 900. Nous sommes encore loin du compte et de nos ambitions pour ce qui est de notre positionnement sur la carte géo-universitaire. Mais, c’est la première fois que deux universités publiques rentrent dans ce classement.

Mettons toutefois les choses au point: il y a deux types de classements: des classements qui nous concernent et d’autres non. A titre d’exemple, les classements basés sur le nombre de prix Nobel dont celui de Shanghai. Dans l’histoire de la Tunisie, il y a eu deux prix Nobel. Nous ne pouvons donc pas nous comparer à ceux qui en ont eu beaucoup. Par contre, il y a les classements basés sur le nombre de brevets, celui des publications, des innovations universitaires, et en la matière, nous sommes concernés. Il faudrait commencer par étudier les critères des instances internationales qui procèdent à ces classements.

Nous disposons aujourd’hui d’une commission qui épluche ces critères pour saisir les règles du jeu, ce qui nous facilitera leur maîtrise et la mise en avant de nos atouts.

Il s’agit là d’une démarche étudiée où la vigilance est de rigueur. Nous devons savoir sur quoi il est impératif de travailler en priorité et ce qu’il faut avancer dans nos déclarations, en termes de chiffres, de productions scientifiques, pour que nous puissions être mieux classés.

Il y a un autre élément qui nous lèse. Nos centres de recherches ne dépendent pas directement des universités, ils dépendent du ministère. Par conséquent, toutes les publications réalisées par les centres de recherches ne sont pas considérées comme des publications de l’université tunisienne et ne sont pas comptabilisés sur la Tunisie. Les instances internationales ne les considèrent pas comme des publications universitaires à partir du moment où elles sont libellées ministère.

Pour que les universités d’El Manar et de Sfax soient classées cette année dans les 900 premières universités au monde, il a fallu qu’elles requièrent des centres de recherches de les mentionner sur leurs publications, études et recherches déjà réalisées. Rien que le changement de l’approche communicationnelle nous a fait progresser de 400 à 500 places.

La Tunisie figure parmi les premières parmi les pays arabes en matière de publications scientifiques en qualité et en nombre, pourquoi ne le mentionnons-nous pas assez?

Nous sommes de loin le premier pays en Afrique par rapport nombre d’habitants/publications, avec 7.000 publications indexées par an. Nous figurons parmi les meilleurs mais nous reculons au niveau du monde arabe de point de vue classement. La raison en est la fuite des cerveaux vers les pays du Golfe. La Tunisie souffre d’une hémorragie d’universitaires qui profite à ces pays parce que ces derniers y trouvent des moyens matériels nettement meilleurs que ceux existant chez nous.

Que faire face à cette fuite insupportable des cerveaux? Près de 800 enseignants chercheurs sont partis pendant les 3 dernières années. Certaines universités souffrent du manque des enseignants collège A, et c’est un grand problème. Pire, quand la loi de la fonction publique a été élaborée, il y a bien des années, le phénomène était extrêmement rare. 10 à 15 enseignants partaient par an, aujourd’hui le nombre est phénoménal.

La loi rend aisée cette fuite de cerveaux parce qu’elle autorise l’enseignant, c’est-à-dire un fonctionnaire des services publics, quel que soit le nombre d’années qu’il passe hors de son poste à le retrouver quand il décide de revenir. On a accordé des avantages insensés aux universitaires. Il y a ceux qui sont en détachement à l’étranger depuis 15 ou 20 ans, gardent leurs places et on ne peut pas y désigner de nouvelles recrues. Ils gardent tous leurs avantages en termes de retraite, de sécurité sociale et de passage de grade. Tous les trois à quatre ans, ils rentrent au pays, passent des concours, et rebelote. Ce sont des avantages incroyablement élevés et coûteux et à la limite du supportable lorsqu’il s’agit de quelques dizaines de concernés, mais aujourd’hui, ce phénomène touche des centaines de personnes et nuit à la qualité de l’université tunisiennes.

Nous réfléchissons à deux alternatives et des exigences. Nous en avons d’ores et déjà discuté avec le directeur de l’Association tunisienne de coopération technique. La première est que ceux qui partent à l’étranger doivent signer une charte pour citer à la fois dans leurs publications l’université d’accueil et celle de l’origine. Parce que ces universitaires qui ont choisi d’être ailleurs ont suivi tout leur cursus scolaire en Tunisie, ils y ont présenté leurs doctorats et conquis leurs grades. La Tunisie, les contribuables ont payé pour tout cela.

Ensuite et au moment où ils deviennent productifs, au moment où ils doivent rendre un peu de ce que le pays leur a donné, ils partent à l’étranger. Aujourd’hui s’ils s’installent en Arabie saoudite ou au Qatar et publient, c’est parce qu’ils ont bénéficié de tous ces avantages dans notre pays. Donc la moindre des choses est de citer l’université tunisienne dans leurs publications. Et ce n’est pas nuisible là où ils sont. S’ils enseignent à l’université d’Al Chariga, eh bien il peut la citer avec l’université tunisienne.

L’idée est que, par ce moyen, le nombre de publications des universitaires tunisiens à l’étranger puisse aider au reclassement de l’université tunisienne à l’international.

Une deuxième disposition est à l’étude. Il s’agit de limiter les avantages accordés à ces enseignants, parce que même par rapport à leurs collègues ici, c’est injuste. Ils pénalisent tout simplement leurs promotions. Nous accorderons aux universitaires établis à l’étranger un délai de 10 ans au bout duquel on leur donnera le choix: soit ils décident de rester sur place et ils démissionnent, soit ils reviennent retrouver leurs postes et les avantages. Mais nous ne pouvons pas continuer à accorder indéfiniment des privilèges à des enseignants lesquels titulaires du titre partent à l’étranger et ne servent pas leurs pays.

En fait, pour la Tunisie ce sont des pertes sèches en cerveaux et en fonds ainsi qu’un blocage de fait de l’accès de nouveaux enseignants chercheurs à des postes inoccupés. 10 ans de délais, je vous trouve assez tolérant monsieur le ministre. Qu’en pensent les syndicats soucieux des intérêts de la Tunisie?

Nous avons hérité d’une situation assez compliquée. Nous n’avons pas encore évoqué ces détails avec les syndicats. Ils sont réceptifs pour l’instant et il va falloir discuter de ces nouvelles dispositions dans le détail.

Concernant les publications, l’effet est immédiat. Nous n’avons pas encore entamé les négociations mais je ne pense pas qu’il y aurait de refus parce que c’est dans l’intérêt de tout le monde et en premier des enseignants chercheurs eux-mêmes.

Quand nous libérons un poste à l’international, nous recrutons dans notre pays. Ces démarches ouvrent des perspectives de recrutement, et nous pouvons ainsi assurer la relève.

Pour revenir au collège A, il y a eu une recherche en 2012 où on a établi une cartographie de leur présence dans les universités existant sur le territoire national. Que d’inégalités entre les grandes villes et d’autres universités situées dans le centre du pays et au sud.

La question du déséquilibre des corps A entre institutions universitaires dans les grandes capitales et celles dans d’autres régions du pays est cruciale. Je vais répondre en 2 temps.

Premièrement, l’un des points essentiels proposé à la commission de réforme de l’enseignement supérieur est d’abolir cette distinction administrative artificielle entre corps A et corps B et qui a fait beaucoup de mal à l’université tunisienne. Cette distinction transformée en hiérarchie administrative a eu pour conséquence de susciter une fausse compétition entre les collègues. Alors que dans les corps A il y a les bons et un mauvais, pareil pour les corps B. Il n’y a aucun sens à avoir un chef 1 et un chef 2. C’est ce qui explique que nous ayons soulevé ce problème.

Les grades doivent être scientifiques et non pas administratifs. Nous avons prié les commissions de réforme de nous donner une autre classification où la distinction ne se fait pas entre corps A et corps B, mais plutôt à partir du doctorat et plus suivant les grades scientifiques, les recherches, l’engagement et les compétences des enseignants.

Quand nous parlons administration, nous désignons les enseignants permanents quel que soit leur grade. Les textes d’application de la nouvelle loi de l’enseignement devraient réduire la distinction entre corps A corps et B sur tout le territoire national.

Mais en attendant, comment inciter les collèges A à dispenser des cours dans les régions?

A un certain moment, on avait pensé qu’en offrant aux médecins des incitations financières, ils allaient s’installer dans le centre et le sud et dans les zones frontalières. Cette approche n’a pas réussi.

D’ailleurs, concernant les enseignants, la résidence d’origine n’a jamais été vérifiée, et très souvent on déclare un lieu de résidence juste pour profiter des avantages financiers. Ils ne sont présents physiquement que deux jours pour les heures de cours.

In fine, les encouragements financiers ne peuvent pas résoudre le problème. Nous avons discuté avec des doyens et quelques universitaires, et nous sommes arrivés aux conclusions suivantes: les conditions de travail et les conditions d’évolution de carrière sont les meilleurs moyens d’inciter les enseignants universitaires à s’installer dans une zone reculée des grandes capitales. Il est évident qu’un environnement favorable, une bonne école pour les enfants, un restaurant pour sortir le week-end en famille, des lieux de distraction et de loisirs sont importants. Il s’agit d’un écosystème que nous devons créer dans les régions. Et là, nous ne verrons pas seulement des enseignants se déplacer mais aussi des médecins, des avocats et des investisseurs.

Un autre volet a été abordé, c’est celui des moyens mis à la disposition des universités dans le centre, le sud, l’est et l’ouest.

Je m’explique: vous voulez évoluer en carrière et vous voulez faire des recherches et de la production scientifique. Et là vous avez besoin de structures de recherche, de laboratoires scientifiques et d’instruments de travail, ce qui n’est pas donné. Pour y pallier, nous avons entamé des démarches pour assouplir les conditions d’attribution de laboratoire de recherches dans ces régions où il n’y a pas assez d’enseignants chercheurs. Nous avons procédé a contrario. Nous les dotons de structures de recherche, même s’ils n’ont pas le nombre requis de chercheurs. Nous avons enlevé les barrières existant à Tunis ou à Sfax, pour que des maîtres-assistants aient le cadre adéquat qui leur permet de passer maîtres de conférences ou professeurs.

Si les chercheurs restent sur place, ils peuvent accéder à des grades scientifiques et académiques supérieurs et beaucoup plus rapidement que choisissent Tunis où ils ne peuvent pas être sûrs de pouvoir vraiment réussir.

Le nombre des collèges A dans les laboratoires y est important et la concurrence y est rude. Ce processus entre dans le cadre de la réforme. Il va falloir être plus souple dans l’octroi des agréments des laboratoires et des unités. Il était dit que pour avoir un laboratoire de recherche il faut un minimum de 6 corps A, et dans certaines disciplines il est très difficile de trouver ce nombre sur toute la République.

Donc nous allons autoriser la création de laboratoires de recherches même avec 4 corps A, ce qui permettra à des maîtres-assistants de faire des études, des recherches et d’évoluer.

Dans les grands laboratoires de Tunis ou de Sfax, vous trouvez quelquefois 20 corps A. Ils doivent créer des antennes de recherches dans des universités où le nombre des corps A n’est pas important et encourager la collaboration interuniversitaire. C’est facile aujourd’hui avec les hautes technologies. Il faut utiliser les nouvelles technologies avec des antennes relayées aux grandes universités.

Souvent, nous sommes surpris de voir des universités tunisiennes collaborer avec d’autres étrangères via le net et ne pas le faire avec des établissements nationaux situés à 200 km de là où elles se trouvent! L’idée est de mettre en place des canaux officiels pour faciliter la collaboration transversale entre les universités.

On n’arrête pas de parler de régions intérieures, alors que la largeur de la Tunisie comme l’a signifié tout récemment Toufik Baccara, ancien gouverneur de la BCT dans une conférence, est de seulement 160 km. Quel est le rôle de l’Université dans le changement des mentalités et l’évolution socioéconomique et culturelle des régions?

Je dirais que les universités doivent être les locomotives du développement sur tout le territoire national sur le plan scientifique, culturel, social et économique. Ceci rejoint notre idée dans le sens où l’université doit être le pivot du développement dans la région.

Aujourd’hui, il n’y a pas de véritables approches socioéconomiques dans le choix des filières universitaires suivant la configuration de la région et ses spécificités. Nos diplômes sont standardisés. L’étudiant qui va remplir sa feuille d’orientation ou encore l’enseignant qui va passer de grade, trouvent que la filière ou la spécialité existent à Sousse, à Tunis ou à Sfax et aussi dans une région difficile d’accès. Ils vont évidemment choisir Tunis. Alors que si nous nous orientons vers la spécialisation avec une meilleure intégration régionale, nous réussirons à faire la différence.

Avez-vous jamais entendu quelqu’un dire: «dois-je aller à Sousse ou à Monastir pour faire médecine dentaire?» La question ne se pose même pas, c’est Monastir et c’est tout.

Il faut que les régions aient des priorisations dans le choix pédagogique et scientifique. Prenez l’exemple de Jendouba, située au nord-ouest, grenier de Rome, y voyez-vous une école d’agriculture? Est-ce normal? Pourquoi voudriez-vous que des enseignants en droit ou en économie aillent à Jendouba s’ils n’y possèdent aucun lien d’ordre personnel? Par contre, s’il y a un ingénieur agronome, qui veut faire sa spécialité dans l’agronomie, qui veut trouver des terrains arables pour pas cher et liés à la recherche appliquée en partenariat avec l’Etat, il sera partant. S’il sait que le plus grand centre de recherche sur l’agriculture s’y trouve, d’autres chercheurs s’y rendront et ils pourraient facilement recruter des personnes sur place, la coopération à l’international se fera à travers cette région et il ne se posera plus la question s’il ira à Jendouba ou pas.

Est-il temps de revoir la carte géographique des universités suivant de nouveaux critères?

Clairement il va falloir aller vers la spécialisation des universités par région, en fonction de l’environnement… L’écosystème est important. C’est ainsi que l’on combattra le chômage. Quand il était question de décentraliser l’université il y a 20 ans, on s’était basé juste sur l’aspect social. Il n’y a pas eu d’études préalables, aucune approche culturelle, environnementale, scientifique ou économique. Dès qu’il y a revendication sociale, on implante une université pour faire taire les voix qui crient plus fort que les autres. Résultat: nous avons des universités déconnectées de la réalité.

Quand on fait des études, c’est pour travailler et satisfaire aux exigences du marché de l’emploi. Aujourd’hui, les jeunes de Gabès y font leurs études, ceux de Gafsa aussi. Et quelles sont les performances sur terrain? Rien si ce n’est que c’est moins coûteux de poursuivre ses études dans son lieu de résidence. Dès acquisition du diplôme, on part vers la cote pour chercher du travail parce que leurs diplômes ne leur permettent pas de travailler sur place. Il n’y a aucune correspondance entre le diplôme et le bassin du travail à Gafsa à titre d’exemple.

Donc l’université de Gafsa doit se spécialiser en priorité pas exclusivement mais en priorité sur l’écosystème de la région.

Quand on implante une université, nous devons également prendre en compte les spécificités du tissu associatif et bien entendu le tissu économique existant. Aujourd’hui, on recrute aussi bien dans la société civile que dans le secteur privé. Si je dispense aux étudiants les adéquates à ces niches, j’augmente les chances des diplômés pour trouver du boulot. Parmi les nouveaux diplômés, il y en a qui ont fait des stages dans des entreprises sur place. Cet état de chose améliore les placements, l’intégration et le maintien des jeunes dans leurs lieux de résidence. L’employabilité s’en trouve considérablement améliorée.

Donc l’intégration de l’université dans l’écosystème est fondamentale pour un meilleur développement des régions et du pays.