Céder là où il ne le faut pas, même au détriment des intérêts supérieurs du pays, et s’entêter là où ceux-ci commandent, au contraire, de s’asseoir à la table des négociations. Ainsi se comportent les gouvernements successifs depuis le 14 janvier 2011. On trouve cette attitude notamment dans le litige opposant l’Etat tunisien à la société ABCI au sujet de la Banque Franco-Tunisienne (BFT) et dans l’affaire Lundin, la société pétrolière suédoise.

Entêtement également dans le bras de fer l’opposant au groupe Shell et qui est en bonne voie pour atterrir au Cirdi (Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements) –le tribunal arbitral de la Banque mondiale auprès duquel la Tunisie est en passe de devenir un abonné et un très mauvais élève.

A l’opposé, dans l’affaire de Sama Dubaï, l’Etat a, semble-t-il, décidé de ne pas livrer bataille parce qu’il ne veut pas se fâcher avec l’investisseur et l’Etat émirati qu’il représente.

En effet, selon une source au ministère du Développement, de l’Investissement et de la Coopération internationale, les autorités auraient décidé d’essayer de trouver une solution amiable avec le porteur du projet «La Porte de la Méditerranée», annoncé sous Ben Ali et dont la réalisation n’a pas été entamée à ce jour.

Pourtant, l’actuel gouvernement, qui a fait de la lutte contre la corruption son crédo, avait là une belle occasion de démontrer que son discours –réitéré lors du vote de confiance aux deux ministres récemment nommés par Youssef Chahed- sur ce thème n’était pas que du vent.

En effet, l’octroi gratis de près de 900 hectares à Sama Dubaï sur les Berges du Lac Sud de Tunis pour qu’il y réalise son projet a suscité beaucoup d’interrogations et même des soupçons de corruption. Pour expliquer ce «cadeau» à plusieurs milliards de dollars, certains ont évoqué des dessous de table dont auraient bénéficié l’ancien président Ben Ali et son épouse Leïla Trabelsi et/ou une volonté de l’ex-chef d’Etat de «calmer» les Emiratis qui, selon certains, estimeraient avoir été dupés dans l’affaire de l’acquisition des 35% du capital de Tunisie Telecom et, de ce fait, mériter réparation.

Mais à supposer que cette dernière explication soit la bonne, il est évident que le cadeau dépasse largement le préjudice éventuellement subi.

Les Emirats ont acquis les 35% du capital de l’opérateur télécom historique pour 2,25 milliards de dollars, alors que le terrain qui leur a été donné vaut au moins cinq fois plus. C’est-à-dire près de dix milliards.

Ce qui veut dire que le renoncement de l’Etat à livrer bataille à Sama Dubaï occasionne d’énormes pertes à la Tunisie. Et il est d’autant plus frustrant que la Tunisie avait, pour une fois, de très fortes chances de gagner un éventuel procès ou procédure arbitrale. C’est d’ailleurs ce que le cabinet d’avocats tunisien consulté par le gouvernement sur ce dossier a clairement dit.

A la question de savoir si l’Etat était fondé à agir contre l’investisseur émirati, les avocats ont répondu oui et cela parce que ce dernier n’a pas respecté les clauses du contrat, essentiellement en ce qui concerne les délais de réalisation du projet, mais aussi pour ne pas avoir tenu la promesse faite en 2015 -en réponse à une lettre du ministre de l’Equipement concernant ses intentions sur ce projet- de commencer à le réaliser en 2016.