Devant l’ampleur que prend le déficit des échanges commerciaux avec l’extérieur au détriment de la Tunisie, le gouvernement de Youssef Chahed a daigné, enfin, se pencher sur la question pour y trouver des solutions.

Malheureusement, le conseil ministériel restreint, tenu le 13 mars 2017, consacré à l’examen de ce déficit, s’est déclaré impuissant d’esquisser la moindre issue, se contentant de renvoyer le problème à plus tard.

Pour preuve, le gouvernement Chahed, devenu hélas maître dans l’art de remettre à plus tard la solution des problèmes, s’est contenté de suggérer -bien de suggérer et non de décider- de mettre en place une commission “qui sera chargée d’étudier les mesures proposées par les différentes parties, tout en tenant compte des engagements de la Tunisie vis-à-vis de l’OMC ainsi que de ses accords bilatéraux et régionaux”.

Cependant, beaucoup de Tunisiens connaissent le sort de ces commissions sans lendemain. Entendre par-là qu’il y a une capitulation assassine du gouvernement devant les problèmes. Pour certains, ce report des solutions est une diversion pour ménager des situations de rente de lobbies importateurs.

L’ampleur du déficit par les chiffres

D’abord un mot sur ce déficit. Selon les résultats du commerce extérieur, publiés par l’Institut national de la statistique (INS), le déficit de la balance commerciale de la Tunisie s’est établi à 12,62 milliards de dinars, en 2016, contre 12,05 milliards de dinars en 2015. Ce déficit représente plus de 10% du PIB (100 milliards de DT environ). C’est énorme.

La Chine reste le pays avec lequel la Tunisie enregistre le déficit commercial le plus important (-3.151,4 MDT), suivie par d’autres pays tels que l’Italie (-1.335,6 MDT), la Turquie (-1.156,5 MDT) et la Russie (-1.052,4 MDT).

La situation s’est poursuivie pour ce début de l’année 2017 et s’est aggravée durant le premier mois de cet exercice. Ainsi, toujours d’après le “très sérieux” INS, le déficit de la balance commerciale a plus que doublé, passant de 507 millions de dinars en janvier 2016 à 1,22 milliard de dinars en janvier 2017.

L’INS, maquilleur en chef des chiffres officiels

Empressons-nous de préciser ici que l’INS, fidèle à sa réputation de “maquilleur en chef des chiffres officiels”, donne rarement des précisions sur la nature des produits importés. Les données qu’il fournit sont globales et ne distinguent pas entre les matières premières, semi-produits, biens d’équipement et produits de consommation de luxe ou superflus.

Par-delà ces chiffres, nous ne pouvons pas nous interdire d’interroger sur la décision du gouvernement de reporter sine die la solution à ce problème alors que l’économie du pays est confrontée à une grave crise dont une des causes est justement ce déficit commercial. Ce déficit, qui est dû en grande partie à l’inondation du marché local par des produits superflus importés de toutes parts, pratiquement sans aucun contrôle, est également à l’origine de la pénurie de devises nécessaires pour rembourser le service de la dette.

S’inspirer de l’audace de Donald Trump

Nos “gouvernants” flemmards et incompétents prétendent qu’ils ne peuvent rien faire dans la mesure où la Tunisie a adhéré à des accords de libre-échange bilatéraux (Turquie), régionaux (Union européenne) et multilatéraux (OMC…). Conséquence: la Tunisie ne peut pas interdire ces importations sous peine d’être sanctionnée.

Et pourtant, ces accords de libre-échange ne sont pas aussi rigides que cela. Toutes les conventions prévoient des clauses de sauvegarde et des issues de retrait.

A titre indicatif, l’article XIX du GATT prévoit, effectivement, ce qu’on appelle des “clauses de sauvegarde“ dont aucun responsable de ce pays ne daigne en parler parce que de telles révélations ne servent pas les intérêts des lobbies en place et de la mafia politico-financière qui règne dans le pays.

Selon ces mesures de sauvegarde autorisées, «un pays membre de l’OMC peut prendre une mesure de “sauvegarde” (c’est-à-dire restreindre temporairement les importations d’un produit) pour protéger son marché ou une branche de production nationale donnée contre un accroissement des importations d’un produit qui cause ou menace de causer un dommage grave à ladite branche de production.

Mieux, les gouvernements confrontés à des déficits aigus de la balance commerciale peuvent adopter des mesures de sauvegarde provisoires sur une période allant jusqu’à 200 jours. «Dans des circonstances critiques, lit-on dans l’article XIX du GATT, où tout retard d’application des mesures de sauvegarde causerait un tort qu’il serait difficile de réparer, un pays Membre de l’OMC pourra prendre une mesure de sauvegarde provisoire après qu’il aura été déterminé à titre préliminaire qu’il existe des éléments de preuve manifestes selon lesquels un accroissement des importations a causé ou menace de causer un dommage grave».

Et c’est le cas de la Tunisie qui est confrontée, au nom du libre-échange, à un déferlement de produits importés de toutes parts et qui menacent toute ses filières industrielles (textile, électroménager et autres).

C’est dans cet esprit qu’il importe de comprendre la décision du nouveau président américain Donald Trump. Ce dernier, accusant l’accord ALENA (ou NAFTA en anglais) d’encourager l’exode d’emplois américains vers le Mexique, s’apprête à réviser ses conditions. Il menace même de s’en retirer.

Aux dernières nouvelles, Donald Trump est décidé de renégocier non seulement l’ALENA mais aussi les accords de l’Uruguay round (OMC).

Ne plus négocier aucun nouvel accord de libre-échange

Abstraction faite de toutes ses possibilités qu’on aurait pu exploiter à bon escient lors du soulèvement du 14 janvier 2011 pour remettre en cause, dans “la ferveur révolutionnaire” toutes ces conventions déséquilibrées, le péché originel demeure la responsabilité des cadres, experts et universitaires qui avaient négocié l’adhésion de la Tunisie à ces accords de libre-échange.

Comment ces soi-disant négociateurs avaient pu négocier cette ouverture du marché tunisien aux produits étrangers alors que structurellement nos produits étaient dans l’incapacité de pénétrer les marchés extérieurs et de tenir la concurrence? Pour une simple raison : nos produits étaient loin d’être compétitifs en matière de rapport qualité/prix et créativité/valeur ajoutée.

La conséquence était prévisible: nous ne pouvions qu’importer et subir le diktat de pays mieux industrialisés.

Ces mêmes négociateurs que le président de la République, Béji Caid Essebsi, entend amnistier dans le cadre de son projet de loi relooké sur la réconciliation financière et économique. Espérons que ce projet de loi ne passera pas pour que ces gens-là n’échappent pas non seulement à l’impunité mais surtout à la torture morale de leur conscience.

Last but not least, au regard des dégâts occasionnés à l’économie du pays par l’effet de ces accords de libre-échange, l’idéal serait de cesser d’en conclure davantage.

A bon entendeur.