Grands projets. Ces mots sont entrés dans le jargon et le paysage tunisiens depuis le milieu des années 2000. Plusieurs de ces mégaprojets ont été annoncés à partir de 2006: Porte de la Méditerranée (Sama Dubaï), Tunis Sports City (Bukhatir Group), Tunis Financial Harbour (Port Financier de Tunis, Gulf Finance House), etc.

Dix ans après, aucun de ces projets n’a été concrétisé. Et au moins deux d’entre eux sont au centre de litiges entre leurs promoteurs et l’Etat tunisien. Notamment parce que ces promoteurs ne veulent plus (en ont-ils eu l’intention un jour?) respecter certaines des dispositions de la convention conclue avec la Tunisie.

Lorsqu’ils ont commencé il y a une dizaine d’années à frapper à la porte de la Tunisie, ces investisseurs ont fait miroiter de gros investissements –de quelques milliards à plusieurs dizaines de milliards de dollars- au gouvernement en particulier et aux Tunisiens en général. Un afflux de capitaux bienvenu dans un pays demandeurs d’investissements étrangers susceptibles de créer des emplois dont il a tant besoin. Or, la promesse va s’avérer en grande partie mensongère. 

Seulement 10 à 15% des financements annoncés…

D’après nos sources –qui ont pu accéder à des documents internes de ces investisseurs venus du Golfe-, le flux d’investissements en dollars annoncé ne se concrétise jamais. L’investisseur ne fait entrer dans le pays où il compte monter un «mégaprojet» que 10 à 15%, une autre partie est levée sur le marché local pour lancer la première composante du projet. Puis les autres sont financées avec un crédit revolving.

D’ailleurs, après s’être initialement engagés à agir conformément à leur promesse initiale, ces investisseurs –c’est le cas notamment de Sama Dubaï et de Bukhatir Group- demandent aujourd’hui à pouvoir s’endetter sur le marché local pour financer leurs projets. Chose inacceptable pour la Tunisie qui, le cas échéant, lui ferait perdre l’un des deux avantages des prétendus grands projets –à savoir un flux de capitaux en devises, l’autre étant la création d’emplois- et se ferait au détriment de l’accès, déjà difficile, des entreprises locales au financement.

Enfin, alors que d’autres activités sont mises en avant (cité sportive, financière, etc.), ces projets sont pour l’essentiel des projets immobiliers.

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Preuve du manque de crédibilité des porteurs de ces grands projets, la Tunisie n’est pas le seul pays de la région à avoir connu ce genre de mésaventure. Le Maroc également y a été confronté, qui a vu, en même temps que la Tunisie, débarquer des investisseurs une flopée d’investisseurs venant des pays du Golfe, promettant des investissements à coup de milliards de dollars.

Annoncé presqu’au même moment que «La Porte de la Méditerranée», le projet Amwaj, un ensemble immobilier et touristique, devait être réalisé sur 200 hectares dans la vallée du Bouregreg à Rabat, avec un investissement de 5,1 milliards de dollars. Et c’est au même moment, en 2009, que les deux projets se sont arrêtés pour cause de crise financière aux Emirats arabes unis.

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Mais ayant obtenu des avantages –octroi gratuitement à Sama Dubaï de près de 1.000 ha sur lesquels son projet devait être édifié- que beaucoup jugent indus et y voient même un signe –la preuve?- que la corruption n’est peut-être pas absente de ces dossiers, ces investisseurs ne lâchent pas le morceau.

Par exemple, après avoir informé les autorités tunisiennes de son renoncement à réaliser «La Porte de la Méditerranée», l’investisseur émirati s’est ravisé et voudrait aujourd’hui, en plus d’un réaménagement du mode de financement, redimensionner le projet et en revoir le planning.

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Idem pour Gulf Finance House. Annoncé pour la première fois en 2007, son projet, Tunis Financial Harbour (Port Financier de Tunis) n’est pas encore sorti de terre, dix ans après. Et comme pour entretenir le mirage, il continue à être relancé de temps en temps. Bizarrerie probablement unique en son genre, la première pierre a été posée à … trois reprises. Une première fois par l’ancien président Ben Ali en 2009. Une deuxième en 2012, par le chef du gouvernement de l’époque, Hamadi Jebali, et enfin par Youssef Chahed, le 27 novembre 2016. A qui sera le tour, dans deux ou trois ans?

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