Indépendamment de la vive polémique qu’elle avait suscitée et de l’opposition farouche qu’elle avait rencontrée, la loi de finances 2017, adoptée à l’unanimité par l’Assemblée des représentés du peuples (ARP), a été un franc succès en matière de lutte contre l’évasion fiscale en ce sens où elle a comporté, en dépit de certaines frustrations, des avancées significatives sur la voie de la dissuasion de la fraude du fisc en Tunisie.

Trois articles adoptés méritent d’être signalés.

Le premier concerne l’identifiant fiscal. Cette procédure va obliger tout prestataire relevant des professions libérales d’apposer son identifiant fiscal sur tout document fourni à l’administration (facture, ordonnance, honoraires…). Il s’agit d’un important progrès d’autant plus qu’aucun gouvernement, depuis l’accès à l’indépendance, n’était parvenu à soumettre ces corps à une réelle imposition.

Le chef du gouvernement, Youssef Chahed, n’a pas du tout tort quand il a qualifié cette disposition de “révolutionnaire”.

Les corps concernés sont entre autres les experts-comptables, avocats, médecins, architectes, chirurgiens-dentistes, huissiers notaires, conseils juridiques, bureaux d’études, etc.

A titre indicatif, sur la base des honoraires planchers fixés par l’Ordre des avocats pour chaque affaire portée devant les juridictions (première instance, cassation…), l’administration peut contrôler les revenus des avocats dont 3.000 sur un total de 8.000 ne payent pas actuellement le fisc.

La Tunisie évite d’être retenue comme paradis fiscal

Le deuxième article concerne manifestement le levé du secret bancaire. Cet article, rejeté dans un premier temps par les représentants des deux partis majoritaires (Ennahdha et Nidaa Tounès), a été en fin de compte adopté en plénière “sous la pression des médias et de la société civile”, selon le député du Front populaire, Mongi Rahoui.

La procédure va permettre de lutter avec plus d’efficacité contre le blanchiment d’argent et le transfert illicite des fonds destinés au terrorisme, à la contrebande et au crime organisé. Elle oblige les banques, l’Office national de la poste, les assureurs et les intermédiaires en Bourse à communiquer aux services de l’administration fiscale la justification des numéros des comptes ouverts durant la période non prescrite concernant l’identité de leur titulaire, la date de leur ouverture et leur clôture à la même période.

Cette nouvelle législation va permettre à la Tunisie de s’aligner sur les normes de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) en matière de coopération et de transparence fiscales. Et par là même, d’échapper à son inscription sur la future “liste noire des Etats et territoires non coopératifs“, annoncée par l’OCDE et le G20 (le groupe des vingt pays les plus riches de la planète) pour juillet 2017.

Il faut entendre par “territoires non coopératifs“ une appellation chaste de ce qu’on appelle en fait “les paradis fiscaux”.

Les contrebandiers seront traqués

Le troisième concerne la police fiscale dénommée dans la loi de finances 2017 “brigade d’enquêtes fiscales“ ou “de lutte contre la fraude fiscale”. Cette nouvelle police va avoir à sa disposition des enquêteurs de très haut niveau qui vont enquêter sur les grosses fraudes fiscales sophistiquées, des fraudes que l’administration normale n’a pas les moyens nécessaires et les compétences requises pour les débusquer.

Plus simplement, il s’agit d’un corps appelé à élucider les crimes fiscaux, à en identifier les responsables et à les traduire en justice.

L’ancien ministre des Finances, Slim Chaker, qui en avait beaucoup parlé, en avait justifié la création en ces termes: «Aujourd’hui, avec ce qui se passe en matière de contrebande, de circuits parallèles et en matière de devises qui circulent en toute impunité, nous avons besoin de cette police fiscale».

Selon nos informations, ses premières cibles seront les barons de la contrebande et de l’informel.

Annoncée depuis 2014, cette police fiscale devait en principe entrer en service en 2018. Elle devait compter 50 à 60 agents et cadres formés au sein d’une académie internationale en Italie, sous l’égide de l’Organisation de la coopération et du développement économiques (OCDE). Il s’agit d’un premier contingent qui devrait être relayé par une deuxième équipe qui sera envoyée cette année en Italie.

Cette police fiscale travaillera également avec les organismes internationaux étant donné que l’évasion fiscale comprend des activités à l’échelle aussi bien interne qu’externe.

La grande frustration

Au-delà de ces trois articles éminemment satisfaisants, la grande frustration reste cependant l’opposition des députés de Nidaa Tounès et d’Ennahdha à la proposition des députés du Front populaire d’interdire les transactions en cash de tout montant de plus de 5.000 dinars.

C’est une pratique qui a été expérimentée avec succès, particulièrement en Turquie. Elle est à l’origine de la puissance économique que connaît actuellement ce pays. Dans les pays développés, c’est une pratique courante. En Suède, par exemple, les Sans domicile fixe (SDF) perçoivent leur indemnité sociale par carte bancaire.

Ce rejet dit long sur le lobbysme parlementaire dont bénéficient les opposants à cette mesure au sein de l’ARP. Car, en fin de compte, ce rejet ne peut être perçu que comme “un cadeau de fin d’année“ aux contrebandiers et aux fraudeurs de fisc.

A bon entendeur.