L’état du futur

Par : Autres

Le rapport du «The State of the Future» est publié annuellement depuis 18 ans et vise à améliorer la compréhension des problèmes globaux de notre monde et identifier les opportunités pour développer des stratégies adaptées.

D’après ce rapport, l’humanité possède les ressources nécessaires pour relever les défis mondiaux auxquels elle fait face. Ce qui est discutable, en revanche, c’est sa capacité à implanter ensemble et sur l’échelle nécessaire des stratégies globales et locales permettant d’envisager et de construire un avenir meilleur.

Les défis auxquels nous sommes exposés n’ont pas de frontières, ce qui doit tous nous pousser à adopter un plan d’action commun et des stratégies transnationales. Lutter contre le changement climatique ou le crime organisé dans un seul pays ne fera pas de différence suffisante si les autres pays ne jouent pas le jeu aussi.

La population mondiale devrait augmenter de près de 2,3 milliards de personnes au cours des trente-cinq prochaines années, pour atteindre 9,6 milliards en 2050. Il devient impératif de développer de nouveaux systèmes de gestion et d’organisation pour l’eau, l’énergie, les services publics tels que l’éducation, la santé, l’environnement, les migrations et  la gouvernance mondiale, afin d’éviter d’importantes catastrophes humaines et environnementales.

Les études réalisées par le Millennium Project montrent que la plupart de ces problèmes sont évitables et qu’un avenir meilleur est possible. En effet, de brillantes idées politiques, des innovations sociales, des avancées scientifiques et technologiques et de nouveaux rapports d’autorité et de leadership voient le jour un peu partout dans le monde. Le projet dans son ensemble traite des bouleversements qu’entraîneraient pour l’humanité les progrès de la science, de la techno-médecine et des biotechnologies.

L’avenir de l’humanité réside dans les neurosciences…

D’ores et déjà, les perspectives vertigineuses ouvertes par les progrès les plus récents et à venir des neurosciences et des sciences cognitives, l’interaction entre les futures intelligences artificielles, les innombrables nouvelles formes de vie de la biologie synthétiques, la prolifération d’ensembles nano-moléculaires et la robotique pourraient créer un futur à peine comparable et reconnaissable à la science-fiction d’aujourd’hui.

L’avenir pourrait être beaucoup plus prometteur que ce que la plupart des pessimistes veulent bien admettre, et inversement, il pourrait aussi se révéler bien pire que ce que la plupart des optimistes envisagent.

Une vision globale, stratégique et durable

Pour éviter le pire, les nations devraient coordonner leurs actions pour une meilleure appréhension du futur. Certes des départements destinés à la prospective et à la planification stratégique émergent dans les grandes entreprises et au sein des gouvernements. Cependant, vu la vitesse à laquelle le monde change, ils n’ont pas encore acquis suffisamment d’influence sur les prises de décisions pour créer l’impact requis.

Les hommes doivent se mettre d’accord sur une vision globale, stratégique et durable de l’avenir, implanter des objectifs ambitieux et de long terme permettant de stimuler la coopération et la solidarité internationale. Les Etats-Unis et la Chine, par exemple, pourraient se fixer l’objectif commun de réduire la concentration atmosphérique en dioxyde de carbone actuellement de 400 ppm à 350 ppm et inviter le reste du monde à s’engager dans des programmes spécifiques pour y parvenir.

Cet accord est signe de progrès, mais il manque encore d’audace pour inspirer à un changement d’attitude global et concret. À titre d’exemple, l’ONU propose 17 objectifs de développement durable qui représente un cadre conceptuel de coopération pour atteindre des objectifs planétaires tels que l’éradication de la pauvreté et de la faim d’ici 2030. Leur caractère universel offre la possibilité de s’engager dans un nouveau type de partenariat pour faire face aux défis mondiaux.

Déjà le rapport «State of the Future» de 2008 énonçait que «La moitié du monde est vulnérable à la violence et à l’instabilité sociale en raison de la hausse des prix alimentaires et énergétiques, des états en déliquescence, du changement climatique, de la disparition des nappes phréatiques, de la diminution des ressources hydriques, de la désertification et de l’augmentation des flux migratoires». Malheureusement, tous ces facteurs d’instabilité sociale n’ont cessé de se détériorer au cours des sept dernières années, conduisant à l’instabilité sociale que nous constatons aujourd’hui dans de nombreuses parties du monde et en particulier dans le monde arabe.

L’Intelligence artificielle fait peur…

Alors que l’attention d’une majorité se porte principalement sur la montée de l’extrémisme et les guerres civiles, des leaders d’opinion tels que Stephen Hawking, Bill Gates et Elon Musk (le célèbre PDG du constructeur de voitures électriques Tesla et de Space X) ont exprimé, ces derniers mois, leur inquiétude vis-à-vis des progrès de l’intelligence artificielle (IA) et nous mettent en garde contre ses potentiels dangers.

Au-delà de ces prises de position, une certitude existe: l’intelligence artificielle et d’autres technologies d’avenir (la robotique, la biologie synthétique, la science informatique, les nanotechnologies, l’informatique quantique, l’impression 3D/4D, l’Internet des objets, de la science cognitive, l’auto-conduite des véhicules et leurs synergies) vont changer notre perception de ce que nous pensions possible et réalisable au cours des prochaines années.

… mais elle rassure également

Une des implications de cette nouvelle révolution technologique en cours de déploiement est que la richesse se concentre de plus en plus et les écarts de revenus se creusent. Une croissance non-créatrice d’emplois semble être la nouvelle norme. Le capital et la technologie ont, en général, un meilleur retour sur l’investissement que la main d’œuvre. Les technologies du futur peuvent remplacer une grande partie du travail humain. La numérisation est de plus en plus perçue comme une menace pour l’emploi. Le rapport prévoit que le chômage structurel à long terme risque de se généraliser et devenir progressivement une norme si rien ne change.

Dans la dernière section du livre, les experts expliquent que la nature du travail et celle des systèmes politico-économiques dans le monde doivent changer d’ici 2050 si l’on veut éviter d’être confronté à un chômage de masse et de longue durée.

En 2014, plus de 40% de la population mondiale avait accès à Internet. Demain, des initiatives originales (drones, ballons, satellites) pourraient permettre de connecter l’ensemble de la population mondiale. Nous pouvons d’ores et déjà suivre les cours d’universités du monde entier, organiser des révolutions sur les réseaux sociaux, faciliter l’accès des secours dans des zones sinistrées grâce à une cartographie mise à jour en temps réel. La révolution numérique est encore loin d’avoir montré toutes ses facettes: des transformations profondes de certaines de nos organisations économiques et sociales sont à venir.

Favoriser ce changement pourrait conduire à l’amorce d’un nouveau type d’économie qui s’auto-actualise, et qui pourrait transformer les questions de pénuries auxquelles nous sommes exposés aujourd’hui en questions d’abondance.

L’intelligence artificielle devrait permettre de créer, modifier et installer des logiciels de manière autonome et simultanée à travers le monde, à partir de capteurs intelligents et de commentaires laissés sur les réseaux d’informations. L’impact que l’IA est susceptible d’avoir sur le monde sera probablement même plus grand que l’impact qu’a eu l’apparition d’Internet. C’est un facteur historique et unique pour la création et la suppression des emplois. Peut-être que comme dans le passé, plus d’emplois seront créés qu’éliminés, mais la vitesse et l’intégration des changements technologiques et la croissance de la population sont tellement plus importantes aujourd’hui, qu’à long terme, un chômage structurel est très plausible.

Aujourd’hui, la rapidité du changement technologique et la restructuration à l’œuvre dans différentes régions du monde conduisent certains à associer la technologie au chômage et à la détresse sociale. Le progrès technologique n’est cependant pas le coupable en soi. Son impact sur l’emploi au niveau de l’ensemble de l’économie a toutes les chances d’être positif si les mécanismes par lesquels la technologie se traduit en emplois ne sont pas contrariés par des déficiences des systèmes de formation et d’innovation ainsi que par des rigidités pesant sur les marchés de produits, du travail et des capitaux.

Les dangers de la logique de croissance pour la croissance

Des propositions (comme un revenu de base garanti universellement et d’autres mécanismes économiques) doivent désormais être envisagées sérieusement, car il faudrait une génération ou même deux pour réussir une transition à de tels changements. Accélérer les découvertes scientifiques et la recherche sur le cerveau et la longévité rendent nos chances de vivre plus longtemps et sainement plus probables.

L’économie mondiale devrait croître d’environ 3,1% en 2016, tandis que la population de 7,3 milliards est en croissance à 1,14%. De ce fait, la croissance du revenu mondial moyen par habitant est de 1,96%. Ce chiffre représente moins de la moitié de ce qu’était la croissance du revenu annuel par habitant avant la crise financière et la récession mondiale.

Mais fonctionner dans une logique de croissance pour la croissance devient imprudent. Il faut créer des incitations pour encourager et accélérer le passage d’une croissance économique aveugle à un développement éco-intelligent, soutenable et inclusif. Autrement, le manque de ressources hydriques et d’autres pénuries environnementales  accroîtront  l’instabilité sociale dans la plupart des régions du monde. La moitié des gens vivant dans les 200 km près des côtes pourraient éventuellement se retrouver perturbés et contraints de manière permanente. Pour éviter cette catastrophe écologique, des investissements à grande échelle sont nécessaires afin d’accélérer la transition des combustibles fossiles aux énergies renouvelables, des systèmes d’élevage aux viandes synthétiques, de l’irrigation de l’agriculture à l’eau douce à l’irrigation de l’agriculture à l’eau de mer.

Nécessité de concevoir des systèmes de contrôle…

Sur les 20 prochaines années, de grands changements technologiques seront au rendez-vous, que ce soit dans le numérique, dans les neurosciences ou les nanotechnologies et ceux qui n’en auront pas tiré le meilleur seront marginalisés comme être humain mais également comme nation. C’est là qu’il faudrait radicalement changer en commençant par notre conception de l’école maternelle, de la formation, la conception et la gestion des entreprises, la façon de faire de la politique mais aussi la gestion de notre vie privée.

Pour éviter de perdre tout contrôle sur l’informatique quantique avec les réseaux d’information et capteurs artificiels, il devient impératif de concevoir des systèmes de contrôle accessibles et développer des moyens de fusionner judicieusement avec les technologies futures.

Internet des objets : une passerelle entre le monde physique et le monde virtuel

Le développement de la fabrication moléculaire et de l’impression 3D présage de meilleurs niveaux de vie, mais laisse également envisager la possibilité de créer des nano-armées et risque de considérablement réduire le commerce mondial.

L’Internet des objets caractérise des objets physiques connectés ayant leur propre identité numérique et capables de communiquer les uns avec les autres. Ce réseau va créer en quelque sorte une passerelle entre le monde physique et le monde virtuel. Lorsque l’ensemble du monde sera connecté à l’Internet des objets, lorsque les percées scientifiques et découvertes capitales concernant le « Human Brain Project » des Etats-Unis, de l’UE et de la Chine ainsi que des projets d’intelligence artificielle de Google et IBS (Intelligent Building Systems) seront révélés, intégrés et implantés, chaque individu aura la possibilité d’augmenter son génie.

Comment un monde plein de génies augmentés est susceptible de changer la culture, la politique, la religion, les mentalités? Un système d’intelligence global et collectif est nécessaire pour suivre l’évolution de notre monde et pour élargir le dialogue entre les dirigeants, les experts et le public. Cela aidera à faire évoluer les structures sociales vers plus de participation et d’inclusion. Ce changement est nécessaire pour répondre à la question ci-dessus posée: comment relever les défis mondiaux et construire un avenir meilleur pour l’humanité?

Le Millenium Project: une nouvelle manière de penser le long terme pour la Tunisie

Les enjeux actuels sont considérables pour la société et l’économie tunisienne. Pour tirer tout le parti de la révolution numérique, pour en être un acteur plutôt que de la subir, il ne faut pas laisser venir, il faudrait anticiper en se projetant dans le futur aussi bien proche que lointain. Ceci s’avère d’autant plus nécessaire que la Tunisie semble avoir perdu l’envie de penser à  son devenir, de développer des visions et des ambitions stratégiques. La question se pose dans la mesure où notre pays paraît désormais subir les mutations majeures, sans chercher à en tirer le meilleur avantage.

Qu’avons-nous préparé ces dernières années pour les générations futures dont dépend notre avenir? Quel est notre dernier grand et ambitieux projet qui offre à chacun la possibilité de se projeter en direction d’un avenir d’espoir? Dispose-t-on de la moindre vision mêlant véritable projet politique, sociétal, économique et technologique, suivi d’actions concrètes et d’effets mesurables à long terme ?

Tout se passe comme si, ces dernières années, la Tunisie n’avait été que sur le front de la gestion de l’urgence, essayant d’atténuer au mieux le poids des difficultés consécutives à son processus de transition sans chercher à imaginer ni à construire une vision de long terme.

Ainsi, nous pourrions discuter de ce que nous voudrions faire de la Tunisie à l’échéance 2050. Débattre sur la Tunisie que nous voulons pour les générations qui viennent: les nouvelles frontières économiques pour après-demain, quels types d’entreprises pour le futur, les évolutions possibles de notre système de protection sociale face aux enjeux démographiques, notre système éducatif à l’heure des plateformes de formation en ligne, notre cadre juridique à l’heure des nouvelles ruptures technologiques, nos nouvelles ressources énergétiques, l’arbitrage entre sécurité et liberté.

Sur le plan sociétal, le manque d’une réflexion de moyen terme, et encore moins de long terme, nous cantonne à des rôles de suiveurs face aux transformations profondes, des innovations de rupture ou de l’émergence de l’économie collaborative, qui vont inéluctablement changer le monde dans lequel nous évoluons.

Ces innovations de rupture devraient inciter les Tunisiens à une véritable réflexion de fond sur les capacités de nos institutions et de nos législations à s’adapter à ces nouveaux paradigmes.

Face à ces défis mondiaux, comment se présente la Tunisie? Une société traversée par le doute et empêtrée dans ses contradictions, dominée par les réflexes corporatistes, les rigidités et les archaïsmes de toutes parts et au sein de laquelle l’élite politico-administrative dispose d’une capacité infinie à éviter les confrontations intellectuelles et stratégiques sur l’avenir lointain.

Appréhender l’avenir lointain de la Tunisie de manière plus sereine, conjurer la peur qui nourrit un malaise structurel peut passer par une réappropriation du temps long, par une substitution aux futurs subis l’idée de futurs souhaités; par l’élaboration d’alternatives au modèle existant, la formulation d’une vision issue de démarches collectives pour parvenir, finalement, à intégrer ces évolutions technologiques dans un nouveau modèle de société cohérent et choisi.

Cette ambition de resituer le débat et la réflexion stratégique dans une perspective de «temps long» est une aventure collective.

  • Pour les politiques, cela devrait conduire à fixer un nouveau cap, allant bien au-delà du quinquennat.
  • Pour les entreprises, cela imposerait d’élargir le champ de vision en vue de mieux appréhender ce qui est entrain de changer et mieux se préparer à ce qui va venir et pour proposer et non plus simplement réagir.
  • Pour l’ensemble des citoyens, cela devrait inviter à réfléchir et à agir comme des citoyens interdépendants les uns des autres, unis par un nouveau contrat social qu’il faudrait collectivement dessiner.

Les politiques actuels sont encore malheureusement dans une logique de gestion courante à l’échéance des différents mandats législatifs. La majorité des Tunisiens ne semble pas avoir pris conscience du pouvoir potentiel des transformations scientifiques et technologiques en cours. La plupart d’entre nous portent encore une vision linéaire du progrès technique alors que celui-ci suit une courbe exponentielle dans tous les domaines.

Plutôt que de s’attarder sur des sujets futiles qui ne font qu’opposer nos concitoyens, nous ferions mieux de nous pencher sur une véritable réforme économique et fiscale qui puisse donner envie à nos citoyens de se projeter vers un avenir qui pourrait être prometteur. Au lieu de nous questionner sur nos choix fondamentaux et leurs déclinaisons politiques à moyen et long terme, nous nous focalisons sur des questions immédiates d’actualité alors que la Tunisie gagnerait désormais à mener une réflexion de fond qui s’inscrit sur plusieurs axes: politique, sociétal, entrepreneurial et environnemental.

SBZ