hatembensalem_institut_tunisien_des_etudes_strategiques-3L’élection de Trump aux Etats-Unis aurait-elle sonné le glas de la mondialisation et annoncé le retour au souverainisme? Nombreux sont ceux qui pensent que le «discours dominant depuis 20 ans sur la mondialisation heureuse est démenti». L’effet Trump sur l’Europe, partenaire stratégique et important de la Tunisie à tous les niveaux, risque de changer les donnes aussi bien dans le Vieux continent qu’au niveau de ses rapports avec ses voisins de la rive Sud de la Méditerranée.

Qu’en sera-t-il des nouveaux rapports de l’Europe avec la Tunisie? Quelle posture doit observer un pays aussi fragile que le nôtre pour faire face à un nouvel ordre mondial dont les contours commencent à peine à être entrevus ?
Réponses de Hatem Ben Salem, directeur de l’Institut tunisien des études stratégiques, ancien ministre de l’Education nationale et auteur de nombreuses publications en Tunisie et à l’international à propos des relations internationales, des stratégies et des expériences de développement en Méditerranée, en Afrique et dans le monde arabe.

Qu’en est-il de l’Europe et de l’évolution de ses relations avec des pays comme le nôtre face à autant de bouleversements de par le monde? A quoi devrions-nous nous attendre?

Hatem Ben Salem: L’Europe est incontestablement en train de vivre une crise d’identité. D’identité européenne, d’abord, avec le Brexit, et aussi avec les possibilités de sortie d’autres Etats. Il est évident qu’aujourd’hui l’euro constitue un handicap pour le développement d’une relation plus solidaire à l’intérieur du continent. L’explication est simple: il y a des différences évidentes de niveaux de développement économique: l’euro ne tiendra pas avec une France endettée à plus de 90% du PIB et avec une Allemagne de près de 70%. L’euro ne pourra résister que si les deux piliers de l’économie de l’Europe, qui sont la France et l’Allemagne, se rapprochent plus pour maintenir les équilibres économiques.
Il y a une nécessité d’homogénéité de la politique monétaire européenne. La Banque centrale européenne ne pourra jamais continuer à ce rythme-là.

Il y a une montée de l’extrémisme au sein de cette Europe, il y a un rejet de tout ce qui est paneuropéen et ce rejet a pour conséquence la mise de l’Europe et de sa construction en grandes difficultés.

Aujourd’hui, à cause de l’hyper-interventionnisme européen et américain, la situation désastreuse au Moyen-Orient suscite un flux incontrôlable de l’émigration qui va totalement changer la donne démographique dans les pays européens. Et ceci personne ne pourra le contenir. Nul n’est capable de changer cette réalité. Il y a des changements au niveau de l’Europe qui vont en faire un partenaire difficile à suivre. La Tunisie doit prendre en compte cette donne dans l’avenir. Elle n’a pas le choix.

Le plus grand partenaire de notre pays, c’est l’Europe, et donc nous sommes maintenant contraints à nous préparer à une Europe plurielle ou multiple. Nous devrions mettre en place une politique européenne capable de limiter les dégâts engendrés par une Europe qui ne fait pas de croissance, qui n’importe plus comme avant, et qui va recentrer ses efforts sur ses problèmes économiques internes et ses industries nationales, et c’est à cela qu’il faut se préparer.

Y a-t-il possibilité d’une remise en question de l’accord de libre-échange Tunisie-Europe?

Impossible au stade actuel, parce que je pense que la Commission européenne, les instances européennes, les institutions européennes ne vont pas se laisser faire et vont se défendre mais je me préoccupe en premier lieu des relations de la Tunisie avec l’Union européenne et non de l’inverse.

L’Union européenne se défendra et déploiera les efforts qui s’imposent pour se préserver et cela ne marche pas, elle se recentrera sur un noyau d’Etats entièrement dédiés à l’idée de la construction européenne. Peut-être y aura-t-il d’autres portes de sortie comme je l’ai dit précédemment. Ce qui m’intéresse aujourd’hui c’est comment la Tunisie réussira à s’en sortir et préserver ses rapports «privilégiés» avec une Union européenne en pleines interrogations.

Quelle posture devrait observer un pays comme le nôtre d’après vous?

D’abord, en mettant en avant nos propres atouts, atouts que nous n’exploitons plus. Nous avons d’abord un atout ressources humaines qui est complètement mis de côté. Nous avons un atout innovation aujourd’hui bloqué par une bureaucratie insupportable. Nous avons un atout d’ouverture géostratégique qui pourrait permettre à notre pays de s’ouvrir et être un hub pour d’autres régions telles que le Moyen-Orient et l’Afrique. Nous n’exploitons pas ces potentiels-là. Nous avons un potentiel d’investissement interne extraordinaire mais bloqué pour des raisons sociales et d’instabilité politique que nous ne sommes pas en train d’exploiter.

Dans ce contexte de restructuration européenne, la Tunisie doit repenser sa propre économie et devra se préparer à l’avenir.

Quel avenir en l’absence d’une vision à moyen et long terme pour notre pays ? Nous avons des fois l’impression de patauger !

Et c’est le rôle de cet institut (Institut des études stratégiques). Nous planchons sur la préparation d’une vision pour la nouvelle Tunisie. Pour que notre pays soit résilient, un pays émergent et un pays réconcilié avec lui-même. Il y a quelques années on appelait à ce que la Tunisie se réconcilie avec son peuple. Aujourd’hui, il est grand temps pour que le peuple se réconcilie avec son Etat. Et c’est le rôle de cet institut.

Si nous ne rendons pas à l’Etat ses compétences régaliennes, nous ne pouvons pas parler d’avenir pour ce pays. Il n’y a pas d’avenir pour la Tunisie et pour ce peuple, si l’armature de l’état tunisien est fondée sur des piliers fragiles.

Nous sommes en train de préparer une nouvelle vision pour la Tunisie. Nous vivons aujourd’hui une exception démocratique. Personne ne peut le nier que nous vivons une exception démocratique et on n’en profite pas pour que le peuple se réapproprié son Etat et considère que la démocratie est un acquis national irréversible. Si nous ne rendons pas à l’Etat ses compétences régaliennes, nous ne pouvons pas parler d’avenir pour ce pays. Il n’y a pas d’avenir pour la Tunisie et pour notre peuple, si l’armature de l’Etat tunisien est fondée sur des piliers fragiles.

Ne pensez-vous pas que la Tunisie souffre d’un déficit de leadership politique et d’hommes et de femmes d’Etat ?

Je ne suis pas certain que ce soit le cas. En ce qui me concerne, j’expliquerais plutôt le marasme que nous traversons par une crise de gouvernance. Il n’y a pas de crise de leadership parce que le pouvoir en place est légitime. Vous ne pouvez pas imaginer la force de cet aspect qui n’est pas seulement d’ordre électoral mais aussi politique. Rappelez-vous les gouvernements précédents, la principale critique qu’on leur adressait était d’être des provisoires, illégitimes et non élus. Aujourd’hui, il y a un pouvoir élu et il y a une Assemblée élue. Il y a des perdants et des gagnants et c’est la règle du jeu. Nous devons accepter l’exercice démocratique avec ses avantages et ses inconvénients.

Il y a une nécessité urgente et impérative de reprendre les rênes du pouvoir décisionnel, non pas politiques seulement mais aussi administratives.

Je reviens donc à ce que j’ai dit plus haut : notre crise se rapporte à la gouvernance. Il y a une nécessité urgente et impérative de reprendre les rênes du pouvoir décisionnel, non pas politique seulement mais aussi administratives. Dans un pays comme le nôtre, l’Administration a toujours joué un rôle clé dans la stabilité, la sécurité et le développement.
La prospérité de la Tunisie ne peut se faire que sur la base d’un retour de l’Etat à ses fonctions souveraines et à son pouvoir. L’Etat doit reprendre son rôle de leader, politique, économique, social, culturel, éducationnel, etc. C’est avec cette reprise en main de l’Etat qu’il y aura renouveau et reconstruction. Et cela ne peut être que sur la base de la légitimité du pouvoir politique et de ce respect que doit avoir le peuple envers l’Etat. A partir de ce moment, nous pourrons parler de développement, de redressement et d’avenir.

Avons-nous besoin d’un Etat Léviathan qui serait un état monstre et ne peut produire que la dictature et l’autoritarisme ? Ou d’un Etat stratège, d’un protecteur, réformateur, développeur et innovateur ?

L’un des piliers de l’étude en cours de réalisations par l’Institut s’appelle l’Etat est l’institution, quel Etat pour la nouvelle Tunisie? Avons-nous besoin d’un Etat Léviathan qui serait un état monstre et ne peut produire que la dictature et l’autoritarisme? Ou d’un Etat stratège, d’un protecteur, réformateur, développeur et innovateur? Ce sont là les véritables questions qu’il faut poser en Tunisie parce que le problème est un problème de vision. Quelle vision devons-nous avoir pour ce pays? Il ne s’agit ni d’Hommes ni de noms.

Et qu’en est-il des acquis de l’après 14 janvier ? Pensez-vous que les fondamentales sociopolitiques ont changé ?

Il y a déjà un grand acquis, qui est essentiel et c’est peut-être le seul acquis. Il s’agit, bien entendu, de la liberté d’expression dans ce pays qui est la véritable garantie d’une pérennisation du modèle démocratique. La liberté d’expression dans notre pays est malheureusement dévoyée. On n’en use pas en tant qu’instrument pour une véritable construction nationale et de valorisation des acquis de la Tunisie et des Tunisiens.

La liberté d’expression dans notre pays est malheureusement dévoyée. On n’en use pas en tant qu’instrument pour une véritable construction nationale et valorisation des acquis de la Tunisie et des Tunisiens.

Il y a des dysfonctionnements dans le paysage médiatique dus principalement au rôle de l’argent sale injecté dans ce secteur sensible, et ce n’est un secret pour personne. Aujourd’hui il y a un code éthique qui doit être remis à l’ordre du jour et accepté par tous les médias. Il n’existe pas encore mais cela viendra.

Nous ne sommes même pas au cycle de l’enfance. Nous sommes une démocratie naissante, nous évoluerons.

Nous ne sommes même pas à la phase de l’enfance. Nous sommes une démocratie naissante. Nous évoluerons. Qu’est-ce que c’est que 4 ou 5 ans quand on voit que dans les pays européens, après 2 siècles d’exercice démocratique, il y a des journaux qu’on peut acheter et corrompre? Je suis convaincu de l’importance du rôle des médias. Il faut appréhender ce qui se passe sur la scène médiatique avec plus de compréhension que d’incompréhension. Et il revient à l’Etat et à la société civile d’assurer et d’assumer. Il y a une génération de journalistes à former suivant un modèle différent de réflexion et d’action. Il faut changer les méthodes d’enseignement, les méthodes d’encadrement, les programmes, les procédés des enquêtes, il y a tout un chantier à mettre en place mais ce ne sera pas un handicap pour le développement du secteur des médias dans notre pays.

Quel rôle devrait jouer, d’après vous, les partenaires sociaux et l’Etat pour assurer la stabilité nécessaire au développement du pays ?

Là c’est plus difficile. Mais le fait est que notre Tunisie ne pourra pas avancer sans un réel contrat social. Un contrat social fondé sur deux aspects importants, d’abord la sérénité -il faut que le dialogue social soit serein, c’est-à-dire qu’il ne soit pas personnalisé et qu’il ne descende pas au niveau de la diffamation ou de la victimisation. La sérénité est l’un des aspects essentiels d’un dialogue social.

Le deuxième aspect, à mon sens très important, est celui de la pérennité. Nous ne pouvons concevoir la construction ou la reconstruction d’un pays comme la Tunisie, si ce contrat social ne pose pas les jalons d’un consensus qui va durer. Pour arriver à ces deux aspects, à savoir la sérénité et pérennité, il faut qu’il y ait deux partenaires qui se respectent. Il faut que tout se passe et se négocie dans la clarté et non pas dans les coulisses ou à travers des intermédiaires. Il faut que la centrale syndicale et le patronat se mettent autour d’une table et réfléchissent ensemble à un consensus pour un accord constant dans l’intérêt du pays.

Ce que vous dites là est bien beau pour être vrai. Le fait est qu’il y a toujours des incertitudes pour ce qui est de la conclusion d’accords durables ! Cela existe dans des pays comme l’Allemagne et nous en sommes loin.

La Tunisie ne peut pas avancer dans l’incertitude. Il faut un processus stable, la Tunisie stable signifie d’abord un consensus au niveau de ses acteurs sociaux -les acteurs sociaux travaillent avec une vision et avec un calendrier- et une feuille de route connue à l’avance et où il y a la garantie de l’Etat. Et c’est là que le gouvernement intervient justement pour que l’UTICA et l’UGTT puissent arriver à des accords qui ne lèsent ni l’un ni l’autre.

Un dialogue social fait que lorsque les deux partenaires s’assoient autour d’une table, ce sont des partenaires et non pas des ennemis…

Je prends toujours l’exemple allemand, pourquoi l’Allemagne réussit-elle ? Parce que tout simplement il y a un dialogue social serein et durable. Un dialogue social fait que lorsque les deux partenaires s’assoient autour d’une table, ce sont des partenaires et non pas des ennemis, ce sont des partenaires qui n’ont pour objectif que celui de construire ensemble un pays où tout le monde puisse vivre convenablement et dans la prospérité. J’estime qu’aujourd’hui, il y a une urgence absolue à réfléchir et à remettre en place une véritable réflexion: quel nouveau contrat social pour la Tunisie?

La centrale ouvrière est assez avisée et patriote pour éviter les postures rigides même s’il y a un congrès en cours de préparation. Il faut reconnaître qu’à chaque fois qu’il y a congrès, il y a eu la même rigidité. Chaque courant ou chaque clan ou candidat au sein de l’UGTT espère qu’avec cette rigidité, il pourrait réussir à obtenir la satisfaction de ses bases et le maximum d’avantages. Le fait est que tout le monde doit comprendre que nous sommes tous dans la même barque et que les risques de couler concernent tout le monde sans aucune exception. La Tunisie a besoin d’investisseurs pour relancer son économie et les centrales patronales et syndicales doivent envoyer des signaux positifs à ces opérateurs économiques.

Justement, à ce propos quelle peut être la posture de notre pays face à ce bouleversement de toutes les donnes politiques et économiques du monde. Ce que nous voyons là : élection de Trump aux USA, Fillon favori en France sonne presque le glas de la mondialisation et annonce le grand retour du souverainisme?

Aujourd’hui, il y a une chose de quasiment certaine : le monde est en mutation, et ce monde est en train de changer ses propres règles. C’est-à-dire celles-là mêmes qui ont édifié le modèle capitaliste ultra libéral et qui se trouve à bout de souffle. La mondialisation peut être un phénomène très positif particulièrement pour les pays en voie de développement et les pays émergents si ce n’est qu’elle a été dévoyée et a servi les grands capitaux, les Bourses, la spéculation, au détriment de tout ce qui est économie formelle.

Un seul chiffre le démontre : 70% des investissements mondiaux sont des investissements dans la Bourse. Il y a aujourd’hui une sorte de déconnection entre le monde réel, un monde de 7 milliards d’habitants, où les pauvres s’appauvrissent de plus en plus et les riches s’enrichissent substantiellement. Ce hiatus qui est en train de s’installer définitivement, y compris dans les pays riches, en Europe et aux Etats-Unis, est en train de changer la face du paysage géopolitique à l’échelle planétaire.

Le triomphe de Trump, même s’il n’y a pas eu le vote populaire, n’est pas seulement dû au fonctionnement du système électoral américain, il est dû à un très fort sentiment de frustration venu du fin fond du peuple américain qui tient à ce que les choses changent. C’est ce qui a été amorcé il y a 4 ou 5 ans.

Il est quand même étrange que certains analystes estiment que Trump est un accident de parcours et que le système finira par le plier à sa volonté. Ne pensez-vous pas que si l’establishment américain aussi bien économique, politique ou tous les lobbys qui défendent le modèle US avait œuvré pour bloquer l’occupation de l’investiture suprême par Trump, ce dernier n’aurait jamais pu y parvenir ?

Le résultat est là. Trump est élu et je suis tout à fait d’accord pour dire que le système a favorisé l’élection de Trump mais c’est aussi le ras-le-bol général américain qui a permis l’émergence d’une telle personnalité. En Europe, le même scénario est en train de se reproduire avec des systèmes pourtant tout à fait différents! La montée en puissance d’un Fillon aujourd’hui en France et qui a énormément de chance d’être élu président de la France, démontre aisément que les fondamentaux auxquelles certains pays européens ou l’Europe étaient adossés sont en train de changer radicalement. D’abord, il y a une sorte de lassitude, et la désillusion des populations face aux promesses qui n’ont jamais été tenues par les politiques.

Vous allez voir que rapidement, ces dernières années et dans les années à venir -et Macron en France en est un exemple-, la classe politique va énormément évoluer. Une nouvelle génération de politiques complètement différents de leurs prédécesseurs va émerger. Ces nouveaux leaders ne sont pas totalement imbus de l’idéal européen. Ils sont plutôt enclins à être plus nationalistes, plus souverainistes, plus isolationnistes et donc moins ouverts au monde.

La tendance conservatrice est sur le retour. Le monde est déjà passé par cette vague du temps de Thatcher, Reagan et compagnie. Elle est de retour aujourd’hui, et je pense qu’elle ne va pas avoir d’effets positifs sur les partenariats et la coopération internationale, on ira plus dans le bilatéral que dans le multilatéral.

Ce changement sonnerait-il aussi le glas de tous ces faux combats droit-hommistes mondialisés et menés par des Think-tank sous prétexte d’instaurer la démocratie et qui servent les desseins des puissants de ce monde. Des combats qui ont provoqué des guerres et causé des centaines de milliers de morts sans oublier les millions de réfugiés ?

En tout cas, ce début de renfermement sur soi dans les pays traditionnellement interventionnistes, c’est-à-dire certains pays européens et surtout aux USA, sous couvert de toutes les théories des droits de l’Homme, de la démocratie, etc., va certainement perdre du terrain avec l’apparition de nouvelles configurations politiques dans le monde.

L’interventionnisme ne disparaitra pas mais s’affaiblira. Ceci dépendra bien sûr de la consistance des nouveaux hommes politiques.

Si ce nouveau conservatisme instaure un système plus équilibré, plus juste, plus égalitaire entre guillemets, entre les pays et les régions, alors il y a de très fortes chances pour que demain on puisse voir, une nouvelle configuration du monde.

Il y aura une véritable multipolarité avec des pays comme la Russie, la Chine et pourquoi pas d’autres pays émergents qui occuperont des places de choix dans le concert des nations.
Si ce courant conservateur n’arrive pas à imposer son point de vue face à une organisation des nations unies qui n’a jamais été autant affaiblie qu’aujourd’hui.

Il y a de très fortes chances que l’on perçoit dans quelques années un retour aux orientations qui ont justement déstabilisé et fragilisé les régions les plus vulnérables qui devaient au contraire bénéficier de la coopération internationale pour pouvoir assoir un nouveau modèle de développement plus juste et plus démocratique.

Pour revenir aux Etats-Unis, pourrait-on dire que les succès économiques réalisés tout au long du mandat Obama sont dus en grande partie à la vente massive des armes ? En 2008, l’Amérique souffrait d’une crise financière aiguë, avec l’arrivée d’Obama, il y a eu relance de l’économie américaine et partout dans le monde beaucoup de guerres ?

L’industrie de l’armement n’a pas seulement prospéré aux USA. Regardez l’Allemagne, devenue l’un des pays qui exporte le plus d’armes de par le monde. Le monde capitaliste a pu sauver la mise après la crise de 2008 grâce à des révolutions fomentées dans d’autres pays et grâce au soutien massif des banques par les Etats. Et c’est une véritable contradiction dans le système capitaliste.

Les Etats renflouent les banques, en France, en Espagne, en Italie aux Etats-Unis et en Italie, et c’est ensuite la relance économique où justement la dimension militaro-industrielle a constitué un aspect saillant. C’est pour cela que l’économie militaire est devenue très prospère aujourd’hui et elle permet aux complexes militaro-industriels en Europe et surtout aux States de reprendre des forces et d’occuper une place de choix dans le monde.

Ce qui va se passer maintenant aux USA est probablement une confrontation entre la nouvelle politique quasi-isolationniste de Trump et le complexe militaro industriel qui va avoir des besoins énormes d’investissements, d’argent et d’exportation et va se trouver en déphasage avec la politique étrangère du nouveau président américain beaucoup moins interventionniste. Ils pourraient œuvrer à changer la politique de Trump.

Pour eux, il s’agit de défendre leurs intérêts, quant à Trump, il mettra peut-être, au fil du temps, de l’eau dans son vin et révisera certaines de ses positions.

Trump a promis de reconstruire l’Amérique et c’est un homme d’affaires. Il pourrait optimiser les bénéfices en limitant les dégâts. La Libye, l’Irak, les pays du Golfe et pourquoi pas l’Iran auront toujours besoin de nouveaux arsenaux d’armements, le complexe militaro-industriel US pourrait les approvisionner avec le moins de pertes pour les States…

Avec ces bémols : compte tenu du fait qu’au niveau de l’OPEC, il n’y a pas vraiment d’accords « révolutionnaires » pour ce qui est de la baisse de la production des hydrocarbures, les prix du pétrole n’évolueront pas comme il se doit. C’est catastrophique pour les pays du Golfe. Et cela se répercutera sur la capacité financière pour l’achat de plus d’armements pour ces pays connus pour être les plus gros acheteurs de par le monde.
Si vous rajoutez à cela l’entrée fracassante de l’Allemagne dans le commerce mondial de l’armement et le retour de la Russie sur ce marché ainsi que celui de la Chine, les Etats Unis ne pourront plus monopoliser la vente et l’exportation des armements.

Mais ceci n’est pas l’aspect décisif dans les nouvelles orientations de la politique étrangère américaine, l’aspect décisif est la gestion de Trump de sa politique étrangère. S’il continue à prôner une politique étrangère non interventionniste, et se recentrer sur la reconstruction intérieure des USA, alors beaucoup de choses changeront et bougeront au niveau des équilibres internationaux. Nous verrons fort probablement émerger de grandes puissances dont la Chine et la Russie et qui joueront un rôle très important surtout dans nos régions dans les 5 prochaines années.

Propos recueillis par Amel Belhadj Ali