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La dernière fois où j’avais croisé le défunt Fethi Gana, c’était sur les berges du lac. Il faisait, dans la discrétion la plus totale, sa marche quotidienne le pas lent, l’esprit ailleurs et le regard contemplateur. Aux côtés d’autres randonneurs aux pas précipités, il scrutait l’horizon et balayait du regard le lac qui s’étendait à perte de vue. Il semblait prendre tout son temps pour savourer la beauté du paysage et mesurer la grandeur de l’ouvrage qu’il a réussi: la transformation d’une lagune aux odeurs nauséabondes en un plan d’eau, voire en un lac d’une splendeur inouïe.

C’est que feu Fethi Gana, pour les jeunes qui ne le connaissent pas, est l’artisan de l’assainissement du lac nord de Tunis, de l’aménagement de ses berges et de l’édification d’une ville moderne de 400 mille habitants «Tunis El Bouheira».

Qualifiée en son temps de «projet du siècle», tout autant que le merveilleux aqueduc de Zaghoaun au temps de l’empereur romain Hadrien, la réalisation de ce projet est son ultime œuvre dada avant de tirer sa révérence.

Tous les Tunisois et le reste des Tunisiens qui viennent visiter la capitale lui sont reconnaissants d’avoir doté Tunis de son premier quai et de ses premières corniches.

A ce propos, feu Mokhtar Laatiri, un des meilleurs polytechniciens de Tunisie, disait que «la réussite du projet du lac est le résultat de l’association d’une volonté politique illustrée en la personne de Bourguiba, d’un investisseur clairvoyant, Cheikh Salah Kamel, et d’un technicien génial, Mr. Fethi Gana».

Au-delà du projet phare «Tunis El Bouheira» et de ses belles corniches qui font chaque jour le bonheur de milliers de randonneurs, Fethi Gana, ingénieur hydraulicien de formation, est une figure de proue du processus de développement de notre pays. C’est de toute évidence un des grands bâtisseurs de la Tunisie moderne. Un de ses grands qui a toujours servi le pays et ne s’est jamais servi: c’est un patriote désintéressé.

Un parcours jalonné de réalisations

Son parcours professionnel est jalonné de réalisations d’infrastructure. Au nombre de ceux-ci, figurent les aéroports de Sfax, Tozeur et Tabarka, la construction du port commercial de Zarzis –ayant débouché sur la création de la Zone franche de Zarzis-, l’agrandissement du port industriel de Gabès, la construction des grands ports de pêche de Zarzis, Sfax et Mahdia, la construction de 22 ports de pêche… …

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Au rayon de l’hydraulique, sa spécialité, il engrange également d’importants ouvrages: construction des réseaux d’adduction d’eau potable vers tous les villages du Sahel, création et direction de la Régie d’exploitation des périmètres irrigués (REPI), réalisation de l’Atlas et la carte d’inondabilité des principales villes tunisiennes, réalisation des ouvrages de protection des villes de Zarzis, de Kairouan et de Gabès, réalisation de la ceinture de sécurité de la ville de Sfax contre les inondations…

Il a eu également à piloter de grands projets d’assainissement urbains dans les villes de taille moyenne, réalisation du plan d’assainissement, création de l’ONAS, participation à la création de la SONEDE…

Au niveau du think tank, le défunt Fethi Gana a participé à la rédaction du Code des eaux, à l’introduction du concept «développement rural», à la mise sur pied d’une juridiction devant assurer la lutte contre la pollution hydrique et à une étude sur l’organisation du secteur de la pêche et à la création d’un commissariat général à la pêche.

Il a eu à diriger plusieurs études: étude du plan directeur du machinisme agricole et de bâtiments ruraux, étude du plan directeur de l’irrigation, étude du plan directeur de la chaîne de froid alimentaire, étude de la chaîne de froid dans les ports de pêche, etc.

Abstraction faite de son parcours professionnel, feu Fethi Gana a assumé d’importantes responsabilités politiques et sociales. Il fut, notamment, président de l’Union nationale des ingénieurs tunisiens (1978-1980), maire de Zarzis (2 mandats de 1969 à 1975), président de l’Espérance sportive de Zarzis (1980-1994), vice-président du Conseil économique et social, membre du Centre de recherche en génie rural (Cefigre)…

Fethi Gana a beaucoup fait pour sa ville natale

Sa ville natale Zarzis et sa communauté les Akkaris lui doivent beaucoup. Aidé par Lassaad Ben Osmane, alors ministre de l’Agriculture, Fethi Gana est parvenu à convaincre Bourguiba de la priorité d’alimenter en eau potable la ville de Zarzis. C’était au début des années 60.

Les vieux de Zarzis se rappellent encore des dégâts causés par les inondations de 1969. Fethi Gana, alors maire de la ville et directeur du Génie Rural au ministère de l’Agriculture, initie le projet de protection de sa ville contre les inondations.

C’est encore lui qui, en tant que directeur général des Services aériens et maritimes au ministère de l’Equipement, réalisa le grand port de pêche de Zarzis avant de convaincre les autorités de l’époque de doter Zarzis d’un port commercial pour soutenir l’essor de l’industrie pétrolière et les échanges économiques avec la Libye.

C’est encore lui qui réalisa le rêve de tous les sportifs du Sud, en hissant l’Espérance sportive de Zarzis de la Division 4 à la Division nationale 1, pour la première fois de son histoire. C’était un digne ambassadeur de Zarzis.

Cela pour dire que ce haut fonctionnaire de l’Etat a pleinement accompli sa mission et a été un grand commis de l’Etat au bon moment et au bon endroit. Il est l’un des rares à avoir mené à terme les projets dont il a eu la charge.

La Tunisie et les Tunisiens se doivent d’être reconnaissants envers cet ingénieur hors pair et ce haut cadre représentant d’une génération de bâtisseurs qui devrait servir de modèle pour les jeunes d’aujourd’hui.

En guise de reconnaissance pour l’œuvre accomplie, Cheikh Salah Kamel en visite à Tunis (mi-avril 2016) a suggéré aux autorités tunisiennes de lui consacrer une avenue aux berges du lac.

Et pour ne rien oublier, la commémoration du 40ème jour de son décès aura lieu mardi prochain. Paix à son âme.