Tunisie – Enseignement : Plus de 4 milliards de dinars pour réformer l’éducation en 2 ans

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«Pour une école tunisienne, équitable, performante, qui bâtit le citoyen et édifie la patrie». Un préambule qui annonce le plan de réforme de l’enseignement dans notre pays. Quelles sont les équipes qui ont planché sur l’élaboration du plan de réforme, leurs appartenances, leur niveaux, leurs profils pédagogiques? Nous espérons que le ministere de l’Education nous éclairera plus en la matiere.

Une réforme aujourd’hui et pourquoi? En fait cela fait au moins une décennie que l’on avait commencé à réfléchir à la réforme de l’enseignement. Hatem Ben Salem, ministre de l’Education nationale du temps de Ben Ali, avait déjà élaboré une stratégie pour revoir les cursus scolaires et les adapter à l’ère du temps.

A l’époque, sa décision de revenir aux bonnes vieilles habitudes, dont le rétablissement du concours de la sixième année primaire et l’élimination du passage automatique au premier cycle du secondaire (aujourd’hui école de base), avait soulevé un tollé.

L’enseignement tunisien, appauvri par des décennies de mauvaises politiques éducationnelles -absence d’un apprentissage approfondi des langues étrangères supplantées par la langue arabe dans laquelle une grande partie des scolarisés ne brillent pas par la qualité de leurs écrits, ou par l’éloquence de leurs discours- a souffert d’une régression aberrante. L’école de base à laquelle la Tunisie n’était pas préparée a enfoncé le clou dans le cercueil de l’éducation nationale. L’enseignement a beaucoup perdu de sa superbe et de son positionnement à l’international.

L’école républicaine virerait-elle de bord?

Pire, en ce moment même et dans le nouveau contexte du pays ouvert à tous les virages, nous ne pouvons pas ne pas relever la gravité de l’interventionnisme de plus en plus éhonté de la part du ministre des Affaires religieuses dans les affaires de l’éducation nationale. Le ministre se positionnerait dans la logique des Frères musulmans prônant une reconquête islamique de la Tunisie. Et la crainte aujourd’hui est de voir l’école perdre sa posture d’école républicaine qui dispense un enseignement public, neutre et laïc. Lorsque nous voulons asseoir un régime républicain, nous ne pouvons pas nous permettre d’instaurer des programmes religieux en dehors du cursus scolaire.

Sous d’autres cieux, on a institué une journée de libre pour que l’enseignement purement religieux soit dispensé en dehors de l’école. Par contre, la neutralité des enseignants est obligatoire. Dans notre pays, les ministres font de la politique sacrifiant à leurs ambitions et leur opportunisme l’avenir des futures générations.

Il est triste que l’on n’arrive pas à comprendre que le respect des croyances des élèves et de leurs parents dans un pays musulman comme la Tunisie implique leur exercice dans les lieux de cultes consacrés, comme les Kottabs. Autant l’apprentissage du coran est important, autant la préservation de l’école républicaine de toute présence ostentatoire ou sur-dimension religieuse est essentielle. Car, même si notre Constitution stipule que nous sommes un pays musulman, elle stipule aussi la liberté de culte. Ce qui nous amène à nous poser deux questions: les minorités religieuses dans notre pays auraient-elles droit à des formations religieuses complémentaires dans nos établissements scolaires? Devrions-nous nous attendre à ce que, dans quelques temps, les représentants de la communauté juive tunisienne ou catholique appellent à l’enseignement du catéchisme ou des tables de la thora? Après tout, ce sont des Tunisiens!

Quelle éducation pour quelle génération?

La principale problématique de l’enseignement réside en fait dans la qualité de formation des pédagogues, l’inconsistance des cursus scolaires dans lesquels on occulte même l’histoire du pays et l’insuffisance de l’apprentissage des langues. Sans parler de l’absence de laboratoires de recherches de qualité et l’inexistence de clubs culturels et sportifs. Il est surprenant dans un tel état de fait de polémiquer sur le degré d’islamité de nos jeunes. Un dialogue de sourds, lorsque nous savons que les maux principaux ne sont pas d’ordre identitaire mais la conséquence d’une incompatibilité des cursus scolaires avec les exigences du marché de l’emploi.

En Tunisie, 6,5% des chômeurs sont presque des analphabètes bien que l’enseignement soit obligatoire. Les parents qui privent leurs enfants de suivre des études pouvaient même être passibles de peine de prison. 0,6% des chômeurs ne sont pas catégorisés, 20,5% se sont limités à l’enseignement primaire, 40,6% ont suivi l’école de base (1ère et 2ème parties) et 31,8% ont fait des études supérieures.

Pour un pays qui prétend figurer parmi les pays arabo-musulmans les plus avancés en matière d’alphabétisation et de qualité de l’enseignement, nous ne pouvons que confesser notre désenchantement à la vue de ces chiffres. Car l’incapacité d’un marché de travail demandeur d’absorber des centaines de milliers de chômeurs prouve l’absence d’une main-d’œuvre qualifiée, qu’il s’agisse des diplômés du supérieur, des travailleurs manuels ou des autres catégories de chômeurs.  

Sans avoir à revenir sur les raisons de la chute du niveau de l’enseignement dans notre pays qui sont notoires et citées dans le Livre blanc qui sera prochainement publié par le ministère de l’Education nationale, c’est aux réformes préconisées par Néji Jalloul, que nous nous intéresserons.

Les actions stratégiques pour révolutionner l’enseignement

Pour le ministère de l’Education, le plus important est d’abord la réalisation d’une justice et d’un traitement équitable pour tous les enfants et jeunes.

Le principe de gratuité de l’enseignement public obligatoire a été imposé dès l’indépendance dans notre pays. 60 ans après, les temps sont venus pour que notre système d’enseignement change de fond en comble.

La réforme tourne autour de 9 axes stratégiques et sera soumise dans les prochaines semaines à l’approbation de l’ARP.

Pour Néji Jalloul, ministre de l’Education nationale, «il ne fait aucun doute que notre école sera républicaine, progressiste, neutre et orientée vers l’avenir». L’adoption de la réforme par l’ARP est pratiquement acquise, d’après lui.

Une réforme dont le premier axe vise à généraliser l’année préparatoire pour les futurs scolarisés et l’amélioration de la qualité de l’enseignement dispensé, l’instauration de la discrimination positive et un meilleur encadrement pour les surdoués, sans oublier des attentions particulières accordées aux handicapés et aux enfants qui rencontrent des difficultés d’assimilation du savoir.

Le deuxième axe concerne la révision de la “carte scolaire“ actuelle et une nouvelle vision quant à la répartition des établissements scolaires sur la totalité du territoire national.

Le 3ème axe se rapporte à la formation des enseignants et des formateurs. Il est prévu de recourir à des experts et des ressources humaines qui ne font pas partie de la sphère des enseignants. La formation sera désormais un élément décisif dans les promotions accordées aux cadres enseignants. Les inspecteurs disposeront de plus de moyens et de prérogatives pour exercer leur mission dans le respect des normes et des critères impliquant un niveau pédagogique élevé des enseignants.

Le 4ème axe vise, en premier lieu, la consolidation des acquis des élèves et l’amélioration de la qualité de l’enseignement avec en toile de fond une projection dans le 21ème siècle aussi bien pour ce qui est de la qualité des formations que du savoir à dispenser. L’apprentissage des langues et à leur tête la langue arabe sera prioritaire. La révision des coefficients des matières enseignées pour plus d’équilibre est également prévue.

Le 5ème axe touche au développement de la vie scolaire qui passe tout d’abord par une meilleure adéquation entre le temps imparti aux études et celui consacré aux activités culturelles, sportives et aux loisirs. Le but est de faire de l’école un espace convivial où l’élève se sent bien et évolue sainement dans une école «amie». La philosophie est à la mobilisation de l’équipe-école et la création d’un leadership jeunesse.

Le 6ème axe se rapportera à la restructuration de l’enseignement de base et du secondaire. On procédera ainsi à la révision des niveaux d’orientation et celle des filières actuelles. On accordera plus d’importance et de valeur à l’enseignement professionnel pour satisfaire aux besoins du marché du travail en la matière, tout comme on créera des passerelles (ce qui existait en Tunisie avant l’école de base) entre les différents cursus scolaires: long et professionnel.

La réforme prévoit dans son 7ème axe de prévenir les échecs scolaires par le biais d’un meilleur encadrement des élèves en difficultés risquant d’abandonner leurs études et en réintégrant ceux qui avaient quitté les bancs de l’école.

L’avant dernier axe est celui qui projette l’enseignement dans le 21ème siècle, car il introduit l’usage des nouvelles technologies de l’information dans l’éducation et l’apprentissage. C’est l’école numérique.

Le 9ème et dernier axe concerne la gouvernance qui passerait par la restructuration du ministère, la décentralisation des centres décisionnels, la mise en place de mécanismes de gouvernance transparents et l’amélioration de la gestion administrative et financière.

La réforme de l’enseignement nécessite le montant de 4,105 milliards de dinars. Elle se fera sur 2 années.

Optimiste? Le ministre de l’Education nationale semble sûr de sa réalisation dans les délais impartis. Cette énième réforme pourrait-elle se frayer un chemin et s’imposer là où d’autres ont été jetées à la poubelle de l’histoire? Les prochains mois nous le diront.