Tunisie – Spécial Révolution An V : Le temps de l’économie tarde à venir sous la menace

Paradoxe du temps, le pays est en chantier de refondation, et le bon peuple ne voit rien venir. Le gouvernement Essid, qui endosse de facto le passif de ses prédécesseurs, ne peut se dérober à l’obligation de résultat. Peut-il trouver un recours d’urgence dans l’économie solidaire, pour soulager les 14 gouvernorats particulièrement sinistrés?.

wmc-economie-sauve-tunisie.jpgCinq ans sans véritable grand changement. C’est tout de même contrariant même si ça ne correspond pas tout à fait à la réalité. Qu’importe, c’est pourtant ce sentiment qui prévaut. La relance a beau se mettre en perspective. Les premières grandes réformes sont là. Sauf que, les grands déséquilibres persistent avec leurs lots de misère qui pèse sur un quotidien qui ne s’améliore pas et un avenir sans lisibilité.

Le gouvernement Essid hérite le lourd passif des quatre premières années de surplace économique, qui ont suivi le 14 janvier 2011. Il a beau engager le fer des réformes structurantes, le pays n’en a pas moins besoin de mesures d’urgence. Il faut y aller sinon le pays n’aura connu que le mirage de la démocratie.

L’opinion publique, souvent travaillée par des courants politiques marginalisés par les urnes, est exaspérée par ce sentiment d’immobilisme. Les premières tentatives de fronde tel “Winou el petrol“ ont tourné court car leur malveillance était manifeste. Mais si les mêmes gens revenaient dans la partie avec un slogan autrement plus ravageur “Winou El amal“, l’écho serait lourd de conséquences.

Le gouvernement Essid ne peut éternellement se réfugier derrière le programme de réformes dont on sait qu’elles sont audacieuses. Mais dont on sait aussi que leur retour sur investissement sera tardif. Il doit pouvoir trouver aussi des mesures de soulagement des gens en détresse, des entreprises en déconfiture, des régions démunies… la liste est interminable.  Et les lignes de fracture sont hélas nombreuses. Il y a le littoral et l’intérieur, le chômage qui recule mais fige une génération de diplômés. Attention, A ne pas dissiper le sentiment d’expectative chez la population… la contestation pourrait devenir explosive.

Retour sur les années de braise

Trois années calamiteuses de Troïka et une autre calamiteuse du gouvernement de technocrates ont tétanisé les esprits et rajouté de la crise à la crise. La dette a explosé. Elle est en plus détournée de l’investissement vers la consommation. Le dinar est par terre. L’inflation est au sommet. L’épargne est ratatinée et l’investissement, chétif. Les finances publiques sont au plus mal. La compétitivité est laissée de côté et les revendications syndicales sont au plus fort.

Le gouvernement des technocrates répétait à satiété “On a oublié l’économie mais l’économie ne nous a pas épargnés“. Nous crions au scandale car il y a leurre. On a détruit –à dessein- l’économie! Il n’y a qu’à revenir sur les sirènes d’alarme qui n’ont pas manqué. Le forum de Davos nous a zappés en 2013. Les agences de rating nous ont humiliés. Les marchés nous ont sévèrement pénalisés. La Banque mondiale nous a durement chapitrés avec son rapport la “révolution inachevée“.

Le processus d’étouffement de l’économie faisait son effet, prise en étau qu’elle était entre le terrorisme et la contrebande. Tout contribuait à cette mise à mort. Le terrorisme avait bien pris pour cible d’anéantir le principal affluent de ressources du pays, le tourisme et il y est parvenu.

La méthode Essid

Nommé pour cinq ans, il pense avoir la vie devant soi. Erreur: D’abord, il a été privé d’un état de grâce. A peine arrivé au pouvoir qu’il y a eu le soulèvement des frontières du sud-est… On connaît la suite.

Il s’engage sur la voie vertueuse des réformes. C’est nécessaire et pas suffisant. Il mise sur la lutte contre le terrorisme et la paix sociale. Et là ce sont de vrais serpents de mer. On leur courra toujours après sans jamais les voir. Alors l’opinion lui colle l’accusation de faiblesse. Ce qui est une demi-vérité. Il marche sur les œufs et le moindre faux pas peut remettre en question une stabilité qu’on noue au prix le plus fort.

Que peut apporter la recapitalisation des banques publiques aux chômeurs de Kasserine? En quoi le port en eaux profondes d’Enfidha soulagerait-il le quotidien de “damnés“ démunis du nord-ouest? Ce sont certes des projets à lancer pour rebâtir une base économique nationale. Mais ils ne répondent pas aux appels d’urgence des “mal lotis“, “mal logés“, “mal soignés“, “mal instruits“, et on en passe.

L’économie solidaire, ce n’est pas un palliatif mais un choix structurant

L’investissement sinon rien. Cet objectif ne trouverait pas un dénouement immédiat avec la BMICE, ni les fonds d’investissements régionaux de la CDC, trop lents à se mettre en place, et de gestion pas assez réactive au vu des attentes des gens de l’intérieur de nos régions. Un appoint peut être trouvé quasi instantanément dans le recours à l’économie sociale et solidaire. Il ne faut pas la regarder comme un palliatif, un analgésique pour calmer la douleur. C’est un choix économique noble, tout à fait adapté aux conditions de nos régions et avec une réactivité élevée.

Il ne faut pas faire durer le martyre de nos 14 gouvernorats dans le besoin. Le temps de l’économie doit se faire dans l’urgence, telle une course contre la montre, dans la lucidité et dans le courage.