Ahmed Karm plaide pour une “loi d’exception“ pour sauver l’économie tunisienne

ahmed-al-karam-amen-bank-2013.jpgUne loi avec quelques mesures choc à voter de toute urgence. Ce n’est pas tout à fait une feuille de route mais une indication de cap.

Il faut soustraire l’économie à son état d’expectative. Le monde des affaires ronge son frein dans l’attente que l’Assemblée vote les lois qui vont permettre de réformer l’écosystème national. En attendant et dans l’intérêt de tous, Ahmed Karm, vice-président directeur général d’Amen Bank, suggère de tenter l’effet électrochoc sur l’économie afin de prévenir tout sentiment d’exaspération. Rien de tel qu’une loi d’urgence économique, avec une “short-list“ de mesures choc pour envoyer des signaux forts.

Il faut rassurer les milieux d’affaires et montrer à l’opinion qu’un changement significatif est en cours. Quand un banquier privé murmure à l’oreille des dirigeants politiques…

Faire peu, vite et bien pour faire le switch en économie

Paraphrasons Boileau pour dire que “ce qui se conçoit bien s’énonce clairement…” et les décisions y afférentes ne tiennent qu’en quelques résolutions.

S’exprimant lors du Forum de Réalités (“La Tunisie Post-élections et les enjeux régionaux“, les 23-24 avril 2015), Ahmed Karm V/P du groupe Amen Bank, propose une salve de quatre mesures, un tir groupé, pour remettre l’économie en marche et dissiper cet air d’atermoiement qui ronge le moral du pays. Ces quatre mesures peuvent être à consignées dans une loi, qui tiendrait en un nombre restreint d’articles. On peut l’appeler, compte tenu des circonstances, “loi de solidarité et développement“ que le Parlement voterait en priorité et dans l’urgence.

Il faut reconnaître que le processus d’adoption des lois est trop lent –dans le monde entier mais davantage en Tunisie- et on constate qu’il ralentit l’amorce d’une dynamique de croissance. C’est pénalisant pour le moral des opérateurs ainsi que du bon peuple. Tous deux s’impatientent car ne voyant rien venir.

Notre éminent banquier préconise de lancer un train de mesures fortes afin de donner le ton et de réaliser le switch économique attendu. L’opinion y verrait un signal fort du retour de la croissance. Inverser la vapeur et remettre le pays sur la voie de l’espérance, cela ne manque pas de cran, jugez-en.

La réconciliation, une idée généreuse?

Ahmed Karm adosse sa proposition sur un constat. En plusieurs occasions, le pays, pour se tirer d’affaires, a dû adopter une “idée généreuse“, selon ses propos. C’était le cas au tout début des années 70, au sortir de cette période d’immobilisme économique lié à la collectivisation. Le déclic est venu d’une idée simple: Exonérer l’exportation de l’impôt. Et, ce fut à l’origine d’un coup de punch qui a produit l’effet que l’on connaît.

Plus tard au milieu des années 90, pour conforter le retour de la croissance au sortir du PAS, l’Etat a accepté de privatiser certains des fleurons industriels du secteur public, et cela a été d’un bon effet sur le trend de croissance.

A l’heure actuelle que le pays est en effervescence revendicative, à n’en plus finir, une idée-force nous tirerait d’affaire. On voit le gouvernement qui fignole son plan d’action et sa vision pour les cinq ans à venir. Mais l’action fait défaut. L’ordre de service des réformes ne viendrait qu’une fois les lois votées par le Parlement. Et, cela prendra du temps, au rythme actuel. Par pragmatisme, une opération “coup de poing“ pourrait secouer le cocotier. Et Ahmed Karm considère que l’idée généreuse du moment viendrait d’une application intelligence de l’idée de réconciliation. Et de là il décline une batterie de mesures audacieuses.

Faire revenir la confiance

Par pragmatisme, il faut se résoudre à doper l’investissement privé. Un des éléments activateurs serait de faire revenir les capitaux évadés. La proposition fuse comme un tir tendu. Il s’agit d’un gisement disponible et consistant et c’est toujours bon à prendre. Tout le temps que ce sera pensé dans un cadre de réconciliation, le bon sens autorise une telle issue.

Rien que dans les caisses de HSBC, 600 millions d’euros étaient planqués, déplore Ahmed Karm. Au total et auprès des banques internationales, on parle d’un montant égal à celui de la dette publique, soit autour de 20 milliards de dollars. Cela donne à réfléchir. Et incite transiger? Pourquoi ne pas faire refluer cette manne contre un impôt libératoire –et expiatoire- et voilà un trésor de guerre à portée de main, s’interroge A. Karm.

Un pays dans la région a osé le faire, le Maroc. Il en a rentré une belle moisson. Tablant sur un retour de 1 milliard d’euros, il en a récolté 2,7. C’est le jackpot, qui nous attend. Et notre banquier qui en appelle, dans le même élan, à l’abandon définitif du contrôle du change. A quoi sert le contrôle tatillon, au regard de l’ampleur de l’évasion des capitaux, si ce n’est qu’à exaspérer les entreprises du secteur organisé? Et enfin, pour quoi ne pas tout de go aller directement vers la convertibilité du dinar? Ce n’est pas la sortie de capitaux qu’il faut redouter, prévient-il, on n’a jamais réussi à l’endiguer en dépit de tous les verrous de sécurité. Cessons de nous voiler la face et parions à la faveur de l’affranchissement du dinar sur la rentrée de capitaux et notamment les IDE qui y verraient un signal encourageant. La monnaie nationale s’est fait remonter les bretelles sévèrement par les marchés. Elle ne peut être plus durement corrigée.

Décréter tout de suite la convertibilité du dinar ne ferait que ramener des capitaux.

Troisième mesure, après l’amnistie de change, re-oser l’amnistie fiscale, une dernière fois. Une pénalité libératoire et puis s’en vont. La CNSS a tenté l’opération et en un mois elle a fait rentrer 60 millions de dinars.

Enfin, quatrième mesure, à l’adresse des régions, ne faut-il pas initier en toute hâte un projet phare, dans chaque gouvernorat? Cette opération viendrait comme tête de pont de ce qui va suivre, une fois le plan quinquennal mis en route. En politique on gouverne avec des symboles et les gens ont besoin de voir pour y croire.

Quelques réserves, tout de même

Le plan Karm est un plan de survie. Il est tout même de réalisme. Absoudre des contrevenants au prix d’un impôt de rédemption, au nom de l’intérêt général, est un deal “oséliste“. Bien entendu, une fois l’amnistie terminée, les règles du jeu auront changé et gare à tout fraudeur. Le pays devra renouer avec une situation de “Rule of law’“, c’est-à-dire de primauté du droit.

Comment faire accepter une telle démarche auprès de l’opinion publique sans lui donner le sentiment qu’on est en train de la flouer et de re-pactiser avec la classe des profiteurs? En politique on ne peut jurer de rien. L’argument de l’urgence économique peut être vu soit comme une couleuvre, soit comme un cri de guerre. Le tour de force serait de dégager un consensus national autour de cette potion amère. Là encore on est dans un cas de figure où la morale est à l’épreuve de l’intérêt collectif. L’idée mérite d’être creusée. Nous allons la relayer et susciter un sondage d’envergure auprès de la communauté des banquiers et des hommes d’affaires pour la soumette à un crash test et évaluer sa consistance et sa crédibilité. Nous vous en ferons part.