«Tunisie, économie politique d’une révolution», le nouvel essai de Hakim Hammouda

livre-hakim-hamouda-230512.jpgPrésenté, mardi 22 mai, à l’espace “El Teatro”, à Tunis, le nouveau livre «Tunisie économie politique d’une révolution» de Hakim Hammouda, économiste tunisien basé en France, a révélé, en filigrane, que les penseurs et intellectuels du Sud installés en Occident ne se sont pas encore débarrassés, hélas, de l’éternel sentiment que le Nord complote toujours contre le Sud et que même nos révolutions et révoltes ne seraient que le résultat de l’échec de stratégies internationales ultralibérales, tel que le consensus de Washington. D’où la tendance des intellectuels du Sud à se croire investis de la délicate mission de corriger, parfois pas avec beaucoup de succès, cette image dégradée du Sud qualifiée de viscéralement «anti-démocratique» et «anti-progrès».

D’abord de quoi s’agit- il ?

Le livre, qui se veut à la fois une œuvre académique et militante, est une lecture historique de l’économie tunisienne, depuis les années soixante. L’auteur retient trois périodes. Le collectivisme d’Ahmed Ben Salah (1961-1969), la période de tendance libérale de Hédi Nouira (1971-1984) et l’adhésion dictée par la banqueroute de 1985, à l’ultralibéralisme du consensus de Washington qui a toujours plaidé pour le «Non Etat». Cette période s’étale de 1986 à 2011, date du déclenchement de la révolution.

Cette période relativement longue a été marquée par de profondes réformes structurelles ayant pour objectif ultime de favoriser la transition d’une économie régulée en une économie libérale avec comme corollaires: dépréciation du dinar, adoption d’un Plan d’ajustement structurel (PAS), privatisation des entreprises publiques, réduction des dépenses publiques, option pour la sous-traitance, utilisation des bas salaires pour attirer le maximum d’investissements directs étrangers, flexibilité des lois régissant le travail, élimination de toutes les barrières devant l’investisseur étranger….

La liste des réformes est loin d’être finie. Elle comporte, entre autres, la discipline budgétaire, la réorientation des dépenses publiques vers des secteurs offrant à la fois un fort retour économique sur les investissements, et la possibilité de diminuer les inégalités de revenu (soins médicaux de base, éducation primaire, dépenses d’infrastructure). Y figurent, également, la libéralisation des taux d’intérêt, l’institution d’un taux de change flexible, la libéralisation du commerce extérieur, la déréglementation des marchés (par l’abolition des barrières à l’entrée ou à la sortie), la protection de la propriété privée, dont la propriété intellectuelle.

Après avoir rappelé ces trois étapes marquantes de l’économie tunisienne, l’auteur arrive à la révolution du 14 janvier 2011 et explique son déclenchement par l’échec au plan national d’un pouvoir central autoritaire chargé de mener au forceps des réformes impopulaires dictées de l’extérieur et favorisant le déséquilibre régional et les inégalités sociales; et au plan international par l’échec du Consensus de Washington et le retour à l’interventionnisme de l’Etat.

Pour mémoire, le Consensus de Washington a été durement critiqué depuis 2000 par d’éminents économistes comme le prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz dans son ouvrage “La Grande Désillusion“, les altermondialistes et Michael Spence qui, dans le Rapport mondial sur le développement de la Banque mondiale 2007, a conclu «que pour faire reculer la pauvreté, un État fort est nécessaire».

Pour résumer, la révolution tunisienne, tout comme les autres révolutions arabes, ne seraient, selon le livre, que le fruit d’un échec concomitant d’un modèle de développement local fortement centralisé et d’un ultralibéralisme international qui a montré ses limites.

Le livre propose en conclusion, pour la Tunisie, un modèle alternatif qui se fonde sur la priorité à donner au social (emploi des jeunes…), à la diversification de la base économique du pays et des partenaires extérieurs, et partant, à l’ouverture sur les pays émergents du sud-est asiatique et d’Amérique latine.

Le débat instauré ensuite a révélé certaines lacunes dans le livre lequel a occulté, selon certains, la responsabilité des acteurs économiques et sociaux tunisiens dans le déséquilibre économique régional et le développement inégal. Leurs collègues d’autres pays comme ceux du sud-est asiatique, bien qu’ayant subi dans les mêmes conditions le joug du Consensus de Washington, sont pourtant parvenus à réaliser de meilleurs taux de croissance et à avoir moins de chômeurs.

Moralité: au lieu de désigner du doigt, a-t-on martelé, un éternel comploteur contre les intérêts des pays du Sud, il serait intéressant pour tous d’engager, auparavant, un grand débat sur la mauvaise qualité de l’homme dans nos contrées.

On l’aura dit.