La GRH et l’entreprise : de la méconnaissance à la reconnaissance

Par : Tallel
 

La GRH et l’entreprise

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Par Sihem
BOUZIDI*

 

pes.jpgDans quelques mois, notre pays
sera amené à négocier l’un des virages les plus délicats de son histoire
économique : le démantèlement de ses barrières douanières en vue d’assurer
la circulation des biens et services en provenance de –et vers– l’Union
européenne. Visant à améliorer la compétitivité des entreprises impliquées
par cette échéance, un Programme national de mise à niveau (PMN) a été
élaboré au lendemain de la signature de l’Accord d’Association, en 1995. Un
programme de subventions et d’investissements financiers, technologiques et
techniques dont l’exhaustivité n’a pas occulté, loin s’en faut, les aspects
immatériels.

Clé de voûte du dispositif, la promotion des ressources humaines, à travers
la réforme du système éducatif et de la formation professionnelle [1],
conditionne, en effet, et de manière décisive, la pérennité des mutations
économiques impulsées.

Dès lors, on est en droit de s’attendre à ce que la centralité de la
ressource humaine, soulignée et soutenue au niveau macroéconomique, se
répercute au niveau microéconomique ; autrement dit, que les entreprises
formalisent et mettent en œuvre une gestion de leurs ressources humaines (GRH),
tout comme elles s’attachent à optimiser leur gestion financière ou
commerciale.

Or, force est de constater que, hormis les grands groupes et les filiales de
multinationales, une grande part des PME tunisiennes, qui entrent
majoritairement dans la composition du tissu économique, n’est guère dotée
d’un véritable département des ressources humaines [2]. Et même le cas
échéant, il est encore plus rare que les attributions et les activités d’un
tel service se révèlent à la hauteur de sa dénomination … Bien souvent, il
ne s’agit que d’une GRH de façade, une case greffée à l’organigramme et
destinée à faire pompeusement valoir la «modernité» de l’entreprise en
matière de management. Une GRH cantonnée à une simple administration du
personnel, qui se contente d’assurer l’exécution de l’obligation de
l’employeur à l’égard de ses salariés résultant du contrat (et de la
législation) de travail : tenue des dossiers administratifs des salariés,
préparation des paies, gestion des avantages sociaux annexes, respect de la
convention collective et des procédures relatives à la représentation du
personnel [3] … Certes, nombreuses sont les entreprises à investir dans la
formation continue de leur personnel ; mais y auraient-elles seulement songé
si les dépenses engagées à ce titre n’étaient pas prises en charge, in fine,
par l’Etat du fait de leur défalcation de la taxe sur la formation
professionnelle à laquelle ces sociétés sont assujetties ? Rien n’est moins
sûr.

Si l’aspect réglementaire et procédurier fait partie intégrante des missions
de la GRH, celle-ci ne s’y réduit pourtant pas. Car une authentique GRH
trouve sa raison d’être –et donc, sa légitimité– dans la contribution
qu’elle peut apporter à la réalisation des objectifs de l’entreprise. En
d’autres termes, la place accordée à la fonction Ressources Humaines dans
l’entreprise est la résultante de la reconnaissance de sa portée
stratégique.

Se pose alors la question de l’origine de ce déficit de reconnaissance :
complexe et nuancée, la réponse est à rechercher dans le partage des
responsabilités. Il semble que la relégation de la GRH à la périphérie des p
réoccupations managériales résulte en premier lieu d’un défaut de vision
stratégique du chef d’entreprise à l’égard des ressources humaines. Et
comment pourrait-il en être autrement si le personnel est assimilé à un coût
à restreindre impérativement, et non à une ressource potentiellement
valorisable ? S’il ne joue à ses yeux qu’un rôle mineur de variable
d’ajustement ? A moins qu’il ne s’agisse d’une volonté délibérée du
dirigeant de ne pas élaborer –ou seulement, en apparence– de vision
stratégique. Auquel cas, ses motivations sont probablement à rechercher dans
une certaine frilosité, sinon une crainte, face à la nécessité de se
départir un tant soit peu de son pouvoir. Car tel est le cœur de l’enjeu
d’une GRH affirmée et assumée : au-delà de sa reconnaissance en tant que
fonction, il s’agit de la reconnaissance de la valeur des femmes et des
hommes qu’elle est censée gérer. Faire ainsi d’emblée l’impasse sur une
politique et une stratégie claires de ressources humaines ne revient-il pas
à leur nier a priori toute contribution et donc, toute importance ? Ce type
de raisonnement et d’attitude, qui plonge sans doute ses racines dans le
contexte culturel, est pourtant infondé : au contraire, c’est par une
démonstration de marques de reconnaissance cohérentes et continues envers
ses employés qu’un responsable d’entreprise sera gratifié en retour d’une
reconnaissance encore plus forte en termes d’implication et de productivité
[4].

Mais le dirigeant d’entreprise n’est pas le seul incriminé dans le manque de
visibilité de la GRH, quand celle-ci est formellement intégrée à
l’organigramme : le chef du service des ressources humaines endosse autant,
sinon plus, de responsabilités. C’est à lui qu’incombent également la
défense et la promotion de son «produit». Pour ce faire, professionnalisme
et expertise sont les qualités premières et indispensables dont il doit se
parer. Quelle légitimité accorder au responsable des ressources humaines
quand son profil et sa formation de base sont étrangers à la fonction qu’il
est censé assurer ? Bien que la tendance s’inverse actuellement, rares sont
les DRH des entreprises classiques tunisiennes à avoir suivi un cursus
principalement axé sur la GRH. Une situation particulièrement nuisible dans
la mesure où elle renforce, parfois à juste titre, le sentiment communément
partagé dans et en dehors de l’entreprise selon lequel «n’importe qui peut
faire de la GRH». Plus encor e, la seule maîtrise des techniques et outils
de GRH est une condition nécessaire mais non suffisante dans la garantie du
professionnalisme. Le pointillisme techniciste recèle en lui-même son plus
grand danger : à trop vouloir se concentrer sur les modes opératoires,
nombreux en GRH (recrutement, évaluation des performances, diagnostic des
besoins en formation, etc.), il est à craindre qu’ils ne revêtent le statut
de finalité. Or, la qualité première d’une GRH est sa cohérence : cohérence
non seulement entre les diverses composantes de la pratique RH, mais aussi,
et surtout, cohérence entre ce pôle RH et la direction suivie par
l’entreprise. Sans un recul et une réflexion permettant de synthétiser et de
transcender ce conglomérat d’actions, le responsable RH ne parviendra jamais
à devenir cette for ce de proposition et ce rôle de conseil crédible auprès
du chef d’entreprise et de ses collègues.

Nous autres chercheurs en ressources humaines pouvons sûrement contribuer à
l’intégration effective et généralisée de la GRH dans l’entreprise
tunisienne, d’une part en démontrant –théoriquement et empiriquement– la
pertinence et l’importance de son impact stratégique et, d’autre part, en
améliorant la qualité de la formation universitaire dispensée aux (futurs)
professionnels des ressources humaines. Pour que la conversion à «l’esprit
GRH» se fasse de plein gré, et ne soit pas dictée par des impératifs
économiques imminents…

* Doctorante à l’ISG de Tunis et à
l’Université Toulouse I

[1] Programme de Mise à
Niveau de la Formation Professionnelle – MANFORM.
[2] Voir ZGHAL, R., «La gestion des ressources humaines en Tunisie : un
processus évolutif sous l’impulsion de l’Etat », XIVème congrès de
l’Association francophone de Gestion des Ressources Humaines, Grenoble,
novembre 2003.
[3] Voir ALOUANE, Y., Gestion des ressources humaines, éd. Biegel –
Fondation Konrad Adenaue r, Tunis, 1997.
[4] Voir BOUZIDI, S., De
la reconnaissance du travail à la reconnaissance au travail : une étude
exploratoire, mémoire de Ma stère, Institut Supérieur de Gestion, Tunis,
2005.